Retenez Michel Gérard ou il fait un malheur ! - © Collection personnelle de Michel Gérard

Retenez Michel Gérard ou il fait un malheur !

Scénariste, réalisateur, producteur, Michel Gérard a signé pas moins de seize longs-métrages, dont une majorité de succès ! Pourtant, l’homme – aujourd’hui âgé de 85 ans – reste aussi discret que méconnu. Il faut dire que rares – pour ne pas dire inexistants – sont les médias à s’être un jour penchés sur son cas, et ce malgré l’importance d’une carrière où s’entrecroisent les noms de Michel Galabru, Darry Cowl, Pierre Tornade, Alice Sapritch, Fabrice Luchini, Aldo Maccione, sans oublier Jerry Lewis. Une injustice que nous nous devions de réparer.

Pour la première fois, donc, Michel Gérard se livre sur l’ensemble de son parcours, avec passion et nostalgie. Morceaux choisis.

Présentation

« J’ai toujours voulu être dans le cinéma, énonce-t-il d’emblée. Mais pas pour devenir réalisateur. Dès l’âge de 9-10 ans, je rêvais de diriger une salle de cinéma. J’aimais aller voir des films, bien sûr, mais mon plaisir avant tout était de choisir la salle. Ça me fascinait. Si bien qu’à 18 ans, je suis parvenu à construire un cinéma, en province, dans une petite ville de vingt-cinq mille habitants – on m’a fait confiance, vu mon jeune âge ce n’était pas gagné ! – et ça a marché. »

Fort de cette réussite, Michel Gérard creuse son sillon en ce sens, cumulant la gestion de plusieurs établissements indépendants, et s’improvisant par ailleurs distributeur : « En tant que directeur de salles, j’avais l’occasion d’aller chercher des films à l’étranger et d’en acheter les droits pour ensuite les diffuser chez nous. Je partais en Italie, en Suisse, au Danemark… Je mettais la main sur des films dont personne ne voulait mais qui présentaient selon moi un réel potentiel. Je trouvais les titres français, travaillais les affiches, choisissais les photos d’exploitation… Et je vendais ces films-là comme s’ils étaient importants, avec une base publicitaire digne de ce nom. Résultat : le public se déplaçait en masse ! »

Michel Gérard - © Collection personnelle de Michel Gérard

Au cours des années 1960, l’explosion dans l’hexagone des salles de cinéma devient cependant une sérieuse menace pour l’avenir de notre homme. Mais un important réseau – des distributeurs ayant gagné énormément d’argent grâce à lui – et d’heureuses rencontres – en particulier José Giovanni, qui le pousse à écrire – mènent finalement Michel Gérard vers un tout autre destin.

À l’aube des années 1970, les portes du Septième Art lui sont quasi grandes ouvertes, et c’est ainsi qu’il peut réaliser un premier film, Mais qui donc m’a fait ce bébé? avec notamment Denise Grey et Noël Roquevert : « J’ai écrit un sujet que j’estimais marrant, un vaudeville, avec un casting qui tenait la route, et en plus quelques jolies filles. Je jouais la facilité. Je n’ai jamais cherché à faire passer un message à travers mes films. De plus, mon expérience en tant qu’exploitant m’a permis d’être très souvent dans les salles, d’observer et d’entendre les spectateurs. Cela m’a été fort utile lorsque j’ai commencé à faire du cinéma. Je savais ce qui pouvait plaire. Du moins, je le pensais… Ce qui ne m’empêchait pas d’avoir des lacunes. Le premier jour de tournage, on a perdu un peu de temps : j’avais mis mes acteurs en place, ils savaient ce qu’ils devaient faire, mais le directeur photo était surpris car personne ne bougeait. C’est alors qu’avec beaucoup de respect mon assistant vint me voir : « Michel, si vous ne dîtes pas « Moteur ! » il ne se passera rien. » C’est vous dire si j’étais vraiment innocent. J’ai dit « Moteur ! » et, en effet, c’était parti. Plus aucun problème ensuite. Même Roquevert me complimenta : « Vous vous êtes bien débrouillé, je craignais le pire… » Effectivement : 700.000 entrées à la clef accompagnées d’une poignée de critiques plutôt tolérantes. Un bon succès, en somme. Et de quoi encourager l’apprenti cinéaste Michel Gérard à poursuivre.

Les joyeux Lurons (1972)

Les joyeux Lurons (Michel Gérard, 1972)« Après Mais qui donc m’a fait ce bébé ?, je suis allé voir mes distributeurs, lesquels sortaient euphoriques de la projection du premier film signé Claude Zidi, Les Bidasses en folie. Le timing était parfait pour leur proposer un second sujet. Je leur ai parlé des Joyeux Lurons, l’histoire de trois malfrats en habits ecclésiastiques s’installant chez un vrai curé en vue de s’emparer d’un précieux reliquaire. J’avais déjà soumis le projet à Bourvil quelques années auparavant. Il m’avait dit non, et je comprends, ce n’était pas de son niveau. Mes distributeurs, en revanche, ont immédiatement été emballés, et l’affaire a vite été lancée. En lieu et place de Bourvil, je fis appel à Paul Préboist, fou de joie car pour la première fois on lui offrait un premier rôle.

Jacques Balutin, Philippe Clay, Paul Préboist et Michel Galabru sur le tournage des Joyeux Lurons - © Collection personnelle de Michel Gérard

J’ai ensuite demandé à Michel Galabru, Philippe Clay et Jacques Balutin de compléter le casting. Ainsi qu’à Alice Sapritch, qui surfait sur le succès de son striptease dans La Folie des grandeurs de Gérard Oury. Elle tournait désormais un film dans la Creuse. Je suis parti à sa rencontre et lui ai simplement demandé si cela l’intéresserait de jouer une bonne de curé. Elle ne s’attendait pas à cela mais a vraiment adoré l’idée. C’était parti. Lorsque le film fut terminé, j’en ai fait la promotion dans toutes les villes de province possibles, souvent même en compagnie de Paul Préboist. Et les réactions étaient formidables. À l’arrivée, on a vendu 100.000 billets à Paris, ce qui était assez modeste. Mais en province, on était en tête partout. Près de 800.000 entrées ! Les retours se sont avérés très positifs, aussi bien de la part du public que des directeurs de salles. Il faut savoir qu’à l’époque ces derniers étaient extrêmement sensibles aux réactions des spectateurs. Ce qui explique qu’à chaque nouveau film, j’étais toujours divinement accueilli. »

Paul Préboist, Alice Sapritch et Michel Gérard - © Collection personnelle de Michel Gérard

Les Vacanciers (1974)

Les Vacanciers (Michel Gérard, 1974)« Peu de temps après Les joyeux Lurons, je pris la décision de repartir avec la même équipe, Sapritch, Galabru et Préboist, mais pour tout autre chose. Je n’ai jamais manqué d’imagination. Je me souviens, mon professeur de français, en 4ème ou 3ème, avait écrit, en marge d’une de mes rédactions : « Vous avez trop d’imagination ! » Je précise par ailleurs que mon coscénariste Vincent Gauthier a été, sur mes trois premiers films, un élément important. Il y a apporté de la fraîcheur, de la jeunesse… Et pour Les joyeux Lurons comme pour Les Vacanciers, il m’ a proposé des idées que je n’aurais pas eues, et que j’ai retenues.

Quoi qu’il en soit, c’est ce qui m’a permis d’enchaîner autant de projets, aussi vite, et ce malgré tous les plans que je tournais, car mes films sont très découpés. En plus, j’avais la chance d’être suivi par une équipe de techniciens expérimentés, dévoués. Surtout, je pratiquais beaucoup la caméra à l’épaule. Cela nous faisait gagner un temps fou. Et je ne vous parle pas des comédiens : de grands professionnels ! Il n’a jamais été nécessaire de multiplier les prises à l’infini. Sauf avec Alice Sapritch. Pour un plan, notamment. Là, mon tort a peut-être été de lui demander de faire deux choses à la fois : garer sa voiture, en descendre et dire une réplique. Elle ne s’arrêtait jamais à temps, ou alors pas au bon endroit. Quand elle y parvenait, elle descendait mais en oubliant son texte. Et quand elle le disait, ce n’était pas forcément le bon. Ce sont néanmoins d’excellents souvenirs, on s’amusait vraiment beaucoup !

Une fois le film achevé, on espérait un succès. Las, Pompidou s’est permis de mourir deux jours avant la sortie. Et ça a eu de lourdes conséquences, à commencer par un deuil national, entraînant la fermeture des salles. Bref, « seuls » quelques 600.000 spectateurs se sont déplacés. »

Soldat Duroc… ça va être ta fête ! (1975)

Soldat Duroc… ça va être ta fête ! (Michel Gérard, 1975)« Je montais mon précédent film lorsque j’ai trouvé l’idée pour le suivant. Je venais de m’installer à Paris avec ma femme et mes quatre enfants. Il me fallait nourrir tout ce petit monde, et c’est la raison pour laquelle je ne devais pas chômer. J’ai repensé à l’Occupation, une période qui m’a évidemment marqué. J’avais 17 ans à l’époque. Et j’avais envie de faire revivre ça, mais sous forme de comédie. C’était plus facile pour moi. Lorsque j’allais voir mes distributeurs avec un tel projet, ils me disaient oui tout de suite. Il y avait une vraie confiance entre nous. Ceci dit, j’avais déjà l’ambition de faire un long-métrage différent de mes précédents, et des autres « films de bidasses. » J’imaginais donc l’histoire d’un soldat français en 1944, profitant de la reconquête du pays au côté des Américains pour se rapprocher de sa ville natale et de sa bien-aimée. J’ai donné le scénario à Catherine Winter, que je connaissais, et elle m’a recontacté rapidement, très enthousiaste : « Michel, j’ai passé avec mon mari une soirée comme jamais. C’est la première fois que je l’ai entendu rire autant. Je n’ai pas besoin de lire le scénario, venez me voir, je le produis ! » Et la signature eut lieu dans la foulée.

Soldat Duroc… est un film réalisé avec une grande facilité. Vraiment sans aucun souci. Pour autant, il me fallait aller vite. Je rappelle que j’avais besoin d’argent, je ne pouvais pas traîner. D’ailleurs, quand j’ai dû caster un acteur américain pour les besoins de la distribution, cela s’est fait par téléphone. J’aimais bien Robert Webber, son numéro m’a été donné par son agent,  et il nous a rejoint, avec Pierre Tornade, Michel Galabru, Roger Carel, Marco Perrin, Hubert Deschamps. Tout simplement.

Michel Gérard et Régis Porte sur le tournage de Soldat Duroc - © Collection personnelle de Michel Gérard

Ce fut un tournage merveilleux. Cette fois j’avais droit à un budget plus conséquent avec cependant beaucoup plus de choses à réaliser. La marge de manœuvre était de fait assez minime, et il m’est arrivé de ne pas toujours obtenir ce que je voulais. Je pense par exemple à une scène de cascade à moto que j’ai encore en travers de la gorge. La séquence se tournait sur plusieurs jours et, à la fin, l’équipe est revenue avec un deux-roues qui n’était pas le même que celui vu au début. Incroyable ! On passait d’une grosse moto à une motocyclette de gamins. Et pas de repli envisageable. J’ai donc fait au mieux pour que cela ne se voie pas trop, même si ce n’était pas mon intention à la base. Je voulais qu’on voie parfaitement la cascade. Je m’en suis sorti comme j’ai pu.

Mais la plus grosse erreur de ce film, c’est son affiche. Habituellement, c’est moi qui m’occupait de ça. Là, ce fut Catherine Winter. Et je l’ai découverte une fois terminée. Une horreur ! J’en ai tout de suite parlé à Catherine. Elle n’a pas voulu m’écouter. Denis Chateau, patron de la distribution Gaumont, était pourtant d’accord avec moi. Tant pis.

Soldat Duroc… a malgré tout rencontré son public. On aurait peut-être fait mieux si on l’avait vendu autrement. On a enregistré 45.000 entrées à Paris la première semaine, et pareil la suivante, ce qui est rare. Robert Chazal avait rédigé une excellente critique du film à sa sortie, et en a reparlé après pour évoquer cette stabilité dans les chiffres. Quant à la province, alors là, ça a marché très fort. Le million était tout proche. »

Arrête ton char… bidasse (1977)

Arrête ton char… bidasse ! (Michel Gérard, 1977)« C’est Jacques-Henri Marin, à l’origine de La 7e Compagnie, qui prit contact avec moi, pour me proposer un film de bidasses. Et j’ai accepté. Les conditions s’annonçaient formidables. Marin s’était associé avec une boîte de production autrichienne et il était convenu que l’on tourne là-bas. Seul bémol, j’avais pour obligation de coécrire avec un scénariste allemand. Pourquoi pas ? Malheureusement, les idées de cet homme n’étaient pas les miennes. J’avais trouvé l’intrigue principale, et on devait ensuite retravailler l’ensemble. Sauf que ce fameux scénariste ne proposait que des scènes du style : « Les garçons se travestissent et entrent dans un pensionnat de jeunes filles tenu par des religieuses. » Bon, je ne critique pas, j’avais aussi réalisé des choses assez simplistes auparavant, mais là j’envisageais d’améliorer mon sort et d’avancer. Avec lui, j’avais plutôt l’impression de faire une reculade.

En marge, je réfléchissais au casting. Tandis que les noms de Darry Cowl, Pierre Tornade ou encore Stéphane Hillel étaient d’ores et déjà validés, je fis la connaissance d’une actrice, outre-Rhin, très jolie et – de ce qu’elle me montrait – plutôt douée. En tout cas, elle correspondait à ce que je recherchais. Son nom : Nastassja Kinski. Elle n’était pas connue à ce moment-là, et j’étais à deux doigts de l’engager, lorsque je reçus un coup de fil de Marin me demandant où j’en étais. Je lui ai évidemment parlé de cette jeune comédienne, parfaite pour le rôle, mais il me coupa aussi sec : « Laisse-la repartir, le producteur autrichien veut qu’on engage sa copine ! » On a donc engagé la copine du producteur, extrêmement jolie aussi, et pas si mauvaise que ça en fin de compte.

Darry Cowl et Michel Gérard - © Collection personnelle de Michel Gérard

Mais à la veille du tournage, ce fut la panique. Marin n’avait toujours pas envoyé l’argent demandé par le producteur autrichien, et ce dernier nous menaçait de tout abandonner. À croire que Marin avait senti le coup venir : il débarqua ce même jour, tout frétillant mais sans un sou en poche. Il s’isola avec l’autre producteur, le baratina un bref instant – en gros, si l’Autrichien se désistait, il perdrait la somme investie jusque-là, et nous, on partirait tourner ailleurs – et la situation se calma. On a entamé les prises de vue le lendemain, comme prévu. Et le film a été un énorme carton : 1.907.513 entrées !

Après ça, on m’a soumis l’idée d’adapter Le Petit Nicolas pour le cinéma mais j’ai refusé. Je n’y croyais pas. J’ai un peu dérapé, je dois dire. Je pensais savoir à cette époque ce qui pouvait marcher ou non. Bon, c’était juste un projet, il n’y avait pas de scénario et rien n’était signé. Si ça m’avait intéressé, on aurait certainement discuté plus sérieusement puis concrétisé la chose. En tout cas, aujourd’hui, avec le recul, j’ai la sensation d’avoir vraiment déconné sur ce coup-là. »

Les Joyeuses colonies de vacances (1979)

Les Joyeuses colonies de vacances (Michel Gérard, 1979)« Mon précédent film, C’est dingue, mais on y va…! (1979), avait été un échec retentissant. Heureusement, je gardais la confiance de certains. J’ai donc enchaîné assez vite avec Les Joyeuses colonies de vacances, à nouveau produit par Jacques-Henri Marin, et coécrit avec Richard Balducci. Il ne manquait pas d’idées, mais elles étaient, là encore, rarement conservées. Il avait notamment imaginé un des personnages aux toilettes et, dans le même temps, ses amis en profitaient pour murer la porte. Pour moi, cela manquait de crédibilité, il aurait fallu que ledit personnage soit constipé pour rester suffisamment longtemps aux toilettes et que les autres puissent construire un mur. Ce n’était pas mon humour. À part ça, Balducci était un être infiniment sympathique, il fallait juste passer sur ce genre d’inventions totalement extravagantes. D’ailleurs, il acceptait très bien qu’on les lui refuse. De mon côté, je me suis documenté un maximum auprès d’organismes spécialisés afin d’en savoir davantage sur les colonies de vacances. J’en avais fait étant enfant, mais il s’agissait de colos de garçons à ce moment-là. Dans mon histoire, il fallait qu’elles soient mixtes. Et j’imaginais que cela puisse être différent. Ce qui était le cas.

À la sortie du film, sous l’égide d’UGC, je n’ai eu que des compliments. Apparemment, j’étais dans le vrai. Et ça a marché, une fois de plus ! Même si je m’attendais à mieux. Vacances de Noël obligent, je me disais que les enfants arriveraient en légion. Et bien non. Je suis resté dans ma moyenne, autour des 600.000 entrées. J’avais un public. La plupart des directeurs de salles me l’ont confirmé : quand les affiches de mes films étaient placardées, il y avait toujours des spectateurs qui s’exclamaient : « Ah ! Michel Gérard, on rigole à chaque fois avec lui ! »

Les Surdoués de la Première Compagnie (1981)

Les Surdoués de la Première Compagnie (Michel Gérard, 1981)« Au début des années 1980, on est venu me chercher – en vue de faire de l’argent, ni plus ni moins – pour concevoir un nouveau film de bidasses, alors que je ne pensais vraiment pas y retourner. Mais, étant donné que j’avais déjà fait la fine bouche par le passé, et que cela m’avait coûté, j’ai accepté. Entre-temps, j’avais aussi monté ma propre société de production. Je fis donc part de ce projet à mon associé qui, cependant, n’y croyait guère. Pas grave. J’ai développé Les Surdoués de la Première Compagnie sans lui.

Ce titre a incontestablement joué dans le succès du film. « Surdoués » faisait penser à « Sous-doués » et « Première Compagnie » à « La 7ème Compagnie », deux triomphes récents du cinéma français. À cette époque, le titre avait une réelle importance. Et pour mes Surdoués, ça n’a pas loupé. Le film a frôlé le million d’entrées. Ce fut une très bonne affaire. Et mon associé a regretté de ne pas m’avoir suivi. »

Darry Cowl et Michel Gérard sur le tournage des Surdoués de la 1ère Compagnie - © Collection personnelle de Michel Gérard

T’es folle ou quoi ? (1982)

T'es folle ou quoi ? (Michel Gérard, 1981)« J’avais en tête depuis quelque temps cette idée de couple homosexuel, dont l’un des deux hommes finit par lâcher l’autre après s’être épris d’une jeune femme. Pour jouer ce personnage ambivalent, mon choix s’est très vite porté sur Fabrice Luchini qui avait à ce moment-là le physique de l’emploi. Même s’il sortait des films d’Éric Rohmer, mon projet l’a intéressé. À ses côtés, j’envisageais Aldo Maccione. Celui-ci enchaînait les succès avec « Aldo la classe ! » et ça m’amusait de lui faire jouer un tel contre-emploi. D’autant qu’à la base, son personnage d’hétéro macho, certes efficace sur le plan comique, n’était pas ma tasse de thé. Quoi qu’il en soit, je fus invité à le rencontrer à Rome, avec déjà la promesse de manger des « macaroni à la Aldo. » Tout s’annonçait pour le mieux, mais une fois dans l’avion de la compagnie EgyptAir, j’appris que l’escale prévue à Rome était annulée, et je me suis retrouvé au Caire, coincé dans l’aéroport sans téléphone, et sans autre choix que de cohabiter avec un inconnu dans ma chambre d’hôtel. Bref, j’en suis reparti le lendemain matin, direction Rome, en pensant à la tête d’Aldo qui m’attendait, et à ses pauvres macaronis de la veille. En réalité, un problème plus grave le préoccupait. Il s’était disputé avec sa femme, si bien qu’à peine arrivé, il m’entraîna dans les rues de Rome pour l’aider à choisir une bague. Nous avons fait toutes les bijouteries de la ville, avant qu’il m’annonce : « Ce n’est pas aujourd’hui que je peux écouter un scénario, il faut que je récupère ma femme. » Et je suis rentré en France sans avoir pu lui parler du film.

Michel Gérard et Aldo Maccione - © Collection personnelle de Michel Gérard

À la suite de quoi Aldo s’envolait pour tourner un autre long-métrage en Tunisie. Je suis de nouveau convié et là, enfin, nous sommes parvenus à nous parler. Par chance, il a tout de suite trouvé le sujet de T’es folle ou quoi ? très sympa. Ça le faisait marrer. En somme, c’était dans la poche ! Ou presque. Le lendemain, de retour en France, je reçus un coup de fil du producteur, furieux : « Michel, si on n’a pas Aldo, je ne fais pas le film ! » Je ne comprenais pas, Aldo était sur le point de signer. Mon producteur enchaîna : « Il est furieux ! Il trouve que son rôle est insuffisant. Il faut absolument modifier le scénario et lui donner plus de consistance. » De fait, je me suis remis au travail, j’ai amélioré le personnage d’Aldo, en trouvant notamment l’occasion de lui faire faire son fameux déhanché, et il s’est laissé convaincre.

J’avais malheureusement commis une erreur. Je tournais encore T’es folle ou quoi ? lorsque Tais-toi quand tu parles de Philippe Clair est sorti. Je suis allé le voir. Et une fois dans la salle, je n’ai pas tardé à comprendre que j’allais dans le mur avec mon film. Ce que je préparais était à contre-courant de ce que je voyais. Et à entendre les réactions des spectateurs, je m’inquiétais au plus haut point. Ce que le public aimait chez Aldo Maccione était définitivement « Aldo la classe ! » Malgré cela, Aldo me rassura en affirmant que j’étais le meilleur réalisateur avec lequel il avait travaillé jusque-là. Je suppose qu’il devait dire ça à tous ! Et le résultat – médiocre – me donna raison. Je restais autour de 750.000 entrées. Ce n’était pas si mal, mais avec Maccione on pouvait espérer nettement plus. Loupé ! »

Fabrice Luchini, Michel Gérard et Nicole Calfan sur le tournage de T’es folle ou quoi - © Collection personnelle de Michel Gérard

Retenez-moi… ou je fais un malheur ! (1984)

Retenez-moi... ou je fais un malheur ! (Michel Gérard, 1984)« Je venais d’achever On s’en fout… nous on s’aime (1982), certainement le plus beau souvenir de ma carrière, à tout point de vue. D’abord, parce que ce film je l’ai coécrit avec mon fils, Didier, que nous avons été très complices jusque sur le tournage, et parce que l’accueil du public fut une nouvelle fois extraordinaire. J’avais donc gagné pas mal d’argent via ma société de production, et mon objectif était désormais de progresser en tant qu’auteur-réalisateur. Pour autant, je ne me voyais pas tourner un film avec Jerry Lewis, comme ça, d’un coup. J’envisageais plutôt une progression, marche après marche.

Cette proposition, je la dois à Pierre Kalfon, producteur et distributeur, un homme plein de qualités et au réseau quasi universel. Il parlait plusieurs langues et pouvait vous vendre n’importe quoi. Un jour, donc, il me demanda si j’étais intéressé à l’idée de tourner un film avec Jerry Lewis. Que répondre ? Jerry Lewis, je l’ai « connu » en tant qu’exploitant de salles. Son nom était pour moi synonyme d’énormes succès. D’ailleurs, quand un de mes cinémas avait un problème de trésorerie, je programmais un « Jerry Lewis » et ça repartait ! Voilà l’image que j’avais de cet artiste. D’un point de vue plus personnel, je ne l’appréciais pas énormément. Le côté grimaces, tout ça, ce n’était pas pour moi. J’avais néanmoins conscience de son génie et certains de ses films m’amusaient. Mais ça n’allait pas plus loin. Alors qu’allais-je bien pouvoir lui écrire ? Il aurait été idiot de refuser. On m’offrait sur un plateau la possibilité d’évoluer, de faire autre chose. Exactement ce que j’envisageais. J’ai toutefois posé une condition : qu’il y ait deux têtes d’affiches, d’importance équivalente en terme de rôle. Je ne voulais pas faire « un film de Jerry Lewis » mais créer un duo. Kalfon s’empressa d’appeler l’agent de Jerry  : « Allo ? J’ai dans mon bureau LE metteur en scène qui en ce moment éclate tout en France ! Ses films sont des succès, les plus forts du Box-office… » Je me retournais pour voir de qui il parlait, or j’étais seul face à lui. TF1 nous a ensuite rapidement rejoint sur le projet, alors qu’il n’y avait toujours pas de scénario. J’avais certes une idée, encore vague, il fallait toutefois que je la potasse sérieusement.

Jerry Lewis et Michel Gérard sur le tournage de Retenez-moi… ou je fais un malheur ! - © Collection personnelle de Michel Gérard

Conjointement, il me restait à trouver la seconde vedette, et j’ai choisi Michel Blanc. Il me plaisait comme acteur et on sentait qu’il allait monter. Lorsque je l’ai eu au téléphone, il était complètement ahuri, il ne voulait pas croire qu’il aurait « l’immense Jerry Lewis » pour partenaire. Pourtant, même ce dernier valida ma décision. Lorsque j’ai présenté une photo de Blanc à Lewis, son retour a été clair : « Oui, il a l’air un peu con, mais c’est le rôle. » Alors que Michel est un homme très intelligent !

Les avocats de Jerry ne nous ont en revanche pas facilité la tâche. Le contrat mentionnait un chiffre plein de zéros, beaucoup trop (le double de ce que j’avais prévu), et nous imposait une deuxième caméra (parce que Jerry entendait ne pas refaire de prise), une version anglaise, etc. N’ayant pas vraiment le choix, tout a été accepté.

Hélas, j’avais commis une nouvelle erreur. Mon scénario ne tenait pas compte de la personnalité de Jerry Lewis. J’ai écrit une comédie où il avait un rôle à jouer, au sens psychologique, sans les catastrophes habituelles provoquées par sa folie. Pour être tout à fait franc, je n’y avais pas pensé avant et, de toute façon, je n’aurais pas su écrire cela pour lui. Bon, Jerry m’avait dit qu’il ferait quelques petits trucs en plus, ses « spécialités. » Or, il n’a rien fait parce qu’il était malade. Il sortait de l’hôpital où il avait subi un double pontage coronarien. Sa préoccupation première était donc de faire attention. Il avait sa roulotte, et c’est lui qui nous prévenait quand il pouvait en sortir. Les conditions étaient particulières sur ce tournage. Il appelait son psy à Boston chaque jour, ça durait des heures, sur une ligne spéciale, évidemment payée par la production. Enfin, tout ça, ce sont des détails. Et ce n’est pas pour ces raisons-là que le film est en partie loupé. J’insiste : c’est parce que je n’ai pas écrit ce qu’il fallait, et comme je n’étais pas capable d’écrire ce qu’il aurait fallu, je n’aurais jamais dû accepter ce projet. C’est l’accord de Michel Blanc qui m’a véritablement poussé à accepter. Sans surprise, le film a été un échec. 636.314 entrées. Toujours dans ma moyenne, sauf que cette fois le budget était colossal. »

Michel Gérard avec son fils - © Collection personnelle de Michel Gérard

Après le bide de Retenez-moi… ou je fais un malheur ! Michel Gérard s’essaie à des films plus sérieux : Blessure en 1985, avec Florent Pagny, puis Justice de flic l’année suivante, avec Maurice Risch et Franck Dubosc. Deux nouveaux échecs : « C’était fini pour moi. Clairement. J’ai donc ouvert un restaurant. Je voulais assurer mes arrières tout en me disant que je pourrais peut-être continuer à écrire. Erreur ! La restauration est un métier beaucoup trop prenant. Je n’avais dorénavant plus le temps de prendre la plume. Situé dans le 17e arrondissement de Paris, mon établissement marchait du tonnerre. J’étais par ailleurs devenu la cantine de Télérama, eux qui, autrefois, m’avaient éreinté. Quelle ironie ! Pour être franc, le cinéma m’a un peu manqué au début lorsque j’ai arrêté de tourner. La transition fut assez difficile, à tel point qu’à ce moment-là je n’allais plus au cinéma. J’en étais incapable. Et puis le temps a passé. En y repensant, j’avais 18 ans quand j’ai commencé, 56 quand j’ai mis un terme à ma carrière artistique. Ça a été une folle aventure. J’ai adoré. J’ai eu une vie passionnante. Je ne regrette rien. »

Propos recueillis par Gilles Botineau
Un immense merci à Michel Gérard pour sa disponibilité et sa collection personnelle de photos

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