Acteur mais aussi chanteur et musicien durant plus de cinq décennies, Guy Marchand nous a quittés le à l’âge de 86 ans.
« Toute ma vie, j’ai été en retard d’un métro, largué par la mode, ou plutôt larguant la mode. Aujourd’hui, j’ai un avantage sur les bons élèves du premier rang, les fayots : je suis en retard pour vieillir. » Voilà les mots avec lesquels Guy Marchand conclut son livre de mémoires, Le Guignol des Buttes-Chaumont. Une évocation chargée d’auto-dérision d’un parcours insolite, de son Belleville natal aux plateaux des cinéastes qui ont fait de lui un personnage familier de notre paysage cinématographique : François Truffaut, Claude Miller, Bertrand Tavernier, Philippe de Broca, Maurice Pialat, Costa-Gavras, mais aussi Jean-Charles Tacchella, Gérard Pirès, Jean-Daniel Pollet, Claude Pinoteau, Michel Lang, Claude Zidi, Pierre Tchernia, Pascal Thomas… Sans oublier la télévision avec l’incontournable Nestor Burma qui, pendant douze ans et trente-neuf épisodes, a habillé les soirées de France 2 d’un spleen voilé d’ironie, hérité de son créateur, le romancier Léo Malet.
Parmi la multitude de rôles qu’il a incarné au cinéma, il a marqué de son empreinte la Comédie à la française par sa gestuelle de danseur et son timbre de velours. Il obtient son premier rôle au cinéma en 1971 face à Brigitte Bardot dans la comédie d’aventures Boulevard du Rhum de Robert Enrico. Après avoir donné la réplique à Bernadette Lafont dans Une belle fille comme moi (1972) de François Truffaut, on le retrouve en 1975 aux côtés de Marie-France Pisier, Marie Christine Barrault et Victor Lanoux dans Cousin cousine qui vaudra au cinéaste Jean-Charles Tacchella une nomination aux Oscars.
Après une incursion en 1976 chez Gérard Pirès dans Attention les yeux où il interprète l’acteur porno Bob Panzani, Guy Marchand brille, la même année, en danseur de tango dans l’excellente comédie de Jean-Daniel Pollet, L’Acrobate, aux côtés du regretté Claude Melki, surnommé « le Buster Keaton français ».
Claude Pinoteau l’engage alors aux côtés d’Yves Montand dans Le Grand escogriffe, et un an plus tard, il donne la réplique à Annie Girardot et Catherine Alric dans Tendre Poulet de Philippe de Broca. Mais c’est grâce à Michel Lang qu’il obtient un énorme succès public avec L’Hôtel de la plage, dixième du Box-office français de l’année 1978.
Entre-temps, Guy Marchand continue de promener sa silhouette dans des projets singuliers, qu’il s’agisse de Vas-y maman, unique long-métrage réalisé par l’écrivaine et scénariste Nicole de Buron, ou bien du Maître-nageur, premier film signé du comédien Jean-Louis Trintignant, qui disait de lui à l’époque : « J’aime beaucoup le cinéma italien et Guy a quelque chose d’italien. C’est un personnage en même temps très sincère et dépouillé, et qui a une autre dimension qui est assez rare en France, je trouve. »
Après deux rôles mémorables de salopard en 1981 dans Garde à vue de Claude Miller et Coup de torchon de Bertrand Tavernier, il revient à la comédie devant les caméras de Claude Zidi. Dans Les Sous-doués en vacances, il est Paul Memphis, un célèbre chanteur qui tente de séduire la petite amie de Daniel Auteuil. Composée par Vladimir Cosma et écrite par Guy Marchand et Philippe Adler, la chanson Destinée – pastiche de L’Été indien interprété par Joe Dassin – est un immense succès (et pas seulement en France), et accroit la popularité du comédien, même s’il refusera de l’intégrer à ses tours de chant, considérant cette chanson comme une escroquerie.
Au fil des années 1980 et 1990, le comédien entame des collaborations avec plusieurs cinéastes atypiques. D’abord Gérard Lauzier avec qui il tourne trois films : P’tit con et La tête dans le sac en 1984, puis Le Plus beau métier du monde (1996). Jean Marboeuf le dirige également dans trois longs-métrages : T’es heureuse ? Moi, toujours ! (1983), Vaudeville (1986), Grand Guignol (1987). En 1986, il intègre le casting d’un projet insolite, Conseil de famille, l’unique comédie de Costa-Gavras aux côtés de Johnny Hallyday et Fanny Ardant. Il rejoint ensuite la pléiade de stars du premier long-métrage de Gérard Krawczyk, Je hais les acteurs, tourné en noir et blanc.
Sa rencontre avec Jean-Paul Belmondo a lieu à Montréal en 1985 devant les caméras d’Alexandre Arcady pour Hold-Up, dans lequel il retrouve Jean-Pierre Marielle, quatre ans après Coup de torchon. En 1988, l’acteur-chanteur est engagé par Pierre Tchernia dans Bonjour l’angoisse où il retrouve Michel Serrault dans une ambiance plus légère que Garde à vue et Mortelle randonnée.
En 1988, il prend le bac et se rend à l’Île de Ré. Il y rejoint le casting très étoffé de la nouvelle comédie de Pascal Thomas, Les Maris, les femmes, les amants. Dans ce ballet virevoltant où s’entrecroisent habilement plusieurs histoires avec une joie et un humour contagieux et où chaque réplique rivalise de drôlerie, Guy Marchand est Bruno, un cocu flamboyant, aux côtés de Daniel Ceccaldi, Jean-François Stévenin et Pierre Jean.
« Je viens d’apprendre le départ de Guy Marchand, comédien plus que parfait et d’une grande drôlerie, qui a été un personnage essentiel de notre comédie tournée à l’Île de Ré, Les Maris, les femmes, les amants, en compagnie de Daniel Ceccaldi, Michel Robin, Jean-François Stévenin et de mon fils Clément, eux aussi disparus… Dans ce film, qui racontait différents moments de vacances d’été particulières (les femmes poursuivent leur travail à Paris laissant à leurs maris la charge des enfants), Guy Marchand incarnait un séducteur viril, un rôle construit sur les mesures de ce grand sportif, champion de polo et alpiniste passionné. Allez, bonne escalade, mon cher Guy, vers un nouveau Paradis… » Pascal Thomas (propos recueillis par CineComedies)
Après avoir retrouvé Claude Zidi sur le plateau de Ripoux contre ripoux, Guy Marchand est envisagé pour interpréter le personnage du dentiste dans Les Visiteurs. Ne voulant pas sacrifier ses vacances, il refuse la proposition, passant à côté du jackpot. C’est finalement Christian Bujeau qui sera Jean-Pierre, époux de Valérie Lemercier. Près de dix ans plus tard, Jean-Marie Poiré propose à Guy Marchand un rôle dans Ma femme s’appelle Maurice en raison de l’affection qu’il a pour le comédien.
« Je suis bien triste que Guy Marchand soit parti. En plus d’être un comédien formidable, un chanteur de charme charmant, un danseur de claquette, un champion de polo (cavalier émérite), un pilote de course, un aventurier – c’était un homme merveilleux. Marrant. Sympathique. Fidèle. Déconneur, dans le meilleur sens du terme. Il était plein de fantaisie, d’autodérision, avec un humour quasi britannique. Mais il était aussi très français, gouaille, vif. C’est pourquoi les Français l’ont adoré dans Nestor Burma où il a cartonné pendant des années. Il était fantastique aussi dans Cousin Cousine et dans Garde à Vue, inoubliable. Son tour de chant, très jazz, où il chantait et dansait, était formidable. On a bien rigolé ensemble sur Ma Femme s’appelle Maurice et les nombreuses pubs que j’ai faites avec lui pour le PMU : “On joue comme on aime”. Chaque fois qu’on se retrouvait, à l’occasion, c’était comme si on s’était quittés la veille. Copains comme cochons. Il était tango et il me manque déjà beaucoup. » Jean-Marie Poiré (propos recueillis par CineComedies)
Il y a Guy Marchand l’acteur mais il y a aussi le chanteur, révélé au grand public dès 1965 avec La Passionnata, tube dont il est l’auteur-compositeur. En 1985, il fait une rencontre déterminante, celle de Claude Bolling, grand ambassadeur du jazz européen, d’ascendant ellingtonien (Boris Vian le surnommait « Bollington »). À la fois pianiste, compositeur et leader d’un big band d’exception, Bolling est aussi un compositeur pour l’image émérite, dont les bandes très originales illuminent de swing et de lyrisme le grand écran de notre mémoire musicale : Borsalino, Le Mur de l’Atlantique, Les Brigades du Tigre, Le Magnifique, Lucky Luke, Flic story. Une culture commune, un goût partagé pour les grands crooners d’outre-Atlantique va souder le lien entre Guy Marchand et Claude Bolling et donner lieu à plusieurs concerts feux d’artifice, dont au Petit Journal Montparnasse en 1988, soirées qui feront l’objet d’un enregistrement historique. « Quand je chante avec l’orchestre de Claude, soulignait Guy Marchand, j’ai du mal à croire que c’est moi qui vais entrer en scène, qui vais faire un tour dans cette Rolls qu’on appelle big band. Ce que j’aime, c’est que le sang circule. Et dans le jazz, c’est toujours le cas. »
Depuis quelques années, il s’était fait plus rare sur scène et sur petit et grand écran. On l’a vu dans Ôtez-moi d’un doute (Carine Tardieu, 2017) aux côtés de François Damiens et Cécile de France, Convoi exceptionnel de Bertrand Blier, Les Folies fermières de Jean-Pierre Améris, puis cette année dans La Plus belle pour aller danser de Victoria Bedos aux côtés de Philippe Katerine et Pierre Richard.
par Jérémie Imbert
(merci à Stéphane Lerouge)
En bonus, les spots publicitaires pour le PMU réalisée par Jean-Marie Poiré avec Guy Marchand et André Pousse.