Les Tribulations d’un Chinois en Chine, c’est l’histoire d’Arthur Lempereur, jeune milliardaire blasé en croisière en Chine avec sa future belle-famille. Désespéré, il demande à son ami Mister Goh de le supprimer, après avoir pris une assurance vie au profit de sa fiancée. Mais il tombe amoureux de la belle Alexandrine et veut vivre à nouveau. Aidé de son majordome, parviendra-t-il à empêcher les tueurs de le retrouver ?
Après le triomphe de L’Homme de Rio, Alexandre Mnouchkine et Georges Dancigers proposent à Philippe de Broca de tourner une suite. Le cinéaste refuse. Les producteurs lui proposent alors de tourner une adaptation des Tribulations d’un Chinois en Chine de Jules Verne. Nouveau refus.
« Peu à peu, j’ai apprivoisé le roman, explique de Broca. Daniel Boulanger m’a fait part d’idées séduisantes sur l’adaptation. Je me suis laissé convaincre d’autant que le sujet était en soi intéressant : la fuite en avant d’un milliardaire qui, après avoir tenté de se suicider, court pour échapper à sa mort. » Adaptation très libre du roman de Jules Verne paru en 1879, le film reprend les recettes de L’Homme de Rio : un Jean-Paul Belmondo en très grande forme (même s’il n’a pas les yeux bridés du héros de Jules Verne), les décors naturels de l’Asie, des péripéties s’enchaînant à un rythme effréné, une galerie de personnages cocasses, un méchant obèse et truculent, une sublime partenaire, Ursula Andress, tout juste auréolée du succès de James Bond 007 contre Dr No, le tout saupoudré des dialogues irrésistibles de Daniel Boulanger, complice du cinéaste depuis ses débuts.
Philippe de Broca se rapproche encore un peu plus des aventures de Tintin, inventant des personnages qui s’inscrivent parfaitement dans la lignée de ceux d’Hergé : Léon (Jean Rochefort) est à Arthur ce que Nestor est à Tintin, allant jusqu’à porter le même costume à rayures noires et jaunes. Cornac et Roquentin (interprétés par les inénarrables Paul Préboist et Mario David) sont des Dupond et Dupont en imperméable et casquette, peu futés mais serviables.
Mister Goh (Valéry Inkijinoff), philosophe chinois, est une sorte de professeur Tournesol sans habit vert ni pendule mais avec complet gris, chapeau et club de golf. Sans oublier la famille composée de Maria Pacôme, Jess Hahn et Valérie Lagrange, ainsi que l’infâme Charlie Fallinster (Joe Saïd) à la carrure de gros méchant. À travers ce spectacle, de Broca va encore plus loin que dans son film précédent.
« J’ai tourné ces tribulations comme un bateleur qui annonce : “Voici la plus belle fille du monde, les acrobaties les plus ahurissantes, les paysages les plus grandioses !” » Les personnages utilisent tous les moyens de transport qu’ils trouvent sur leur passage : voilier, barque à moteur, avion, lit à roulettes, triporteur, montgolfière, automobile, dos d’éléphant, side-car, jonque chinoise, cercueil flottant, etc.
Au canevas déjà très riche du roman, Boulanger et de Broca ajoutent un second personnage féminin, Alexandrine Pinardel, qui démarque le film de l’univers quasi asexué de Tintin. Déjà fiancé, le héros tombe amoureux d’une autre femme et veut la séduire, tout en essayant d’échapper à la mort : le défi est de taille, le tournage aussi ! L’équipe part cette fois en Asie, à Hong Kong (titre de tournage) mais aussi en Inde, en Malaisie et au Népal. « Le tournage nous a offert des moments homériques, des crises de fou rire, des canulars en pagaille. Il n’y avait pas une journée sans explosion, sans maison qui s’écroule, sans bateau qui coule », se souvient le cinéaste, qui rend hommage à James Bond 007 contre Dr No en mettant à nouveau Ursula Andress en bikini blanc sur une plage déserte. On comprend aisément que Belmondo ait eu envie de prolonger son histoire d’amour avec la belle Ursula au-delà du tournage.
Plus de trente ans après, de Broca émettait quelques critiques sur son propre travail : « Je sais que les enfants adorent ce film mais c’est un pastiche outré, un super-Barnum caricatural : trop d’extravagances, de fantaisie appuyée. » Pourtant, le film reste un spectacle qu’on ne se lasse pas de revoir à tout âge, comme on relit un Tintin avec toujours le même plaisir. Même s’il ne se prend pas au sérieux, Les Tribulations d’un Chinois en Chine regorge d’une énergie communicative et d’une beauté liée à la mise en scène exigeante, aux personnages drôles et attachants évoluant dans des décors sublimes, le tout bercé par les mélodies envoûtantes de Georges Delerue.
« Quand on fait de la caricature, il faut y croire, explique de Broca. Sinon on tombe dans la parodie ricanante. La partition de Delerue fait comprendre que nos méchants de convention sont néanmoins de vrais méchants. Bien sûr, on rit mais il faut malgré tout avoir peur. » Avec l’apparition de thèmes identifiables qui accompagnent les personnages, le musicien apporte un contrepoint encore plus marqué que dans L’Homme de Rio.
« Georges comprenait pleinement ma démarche : à mes yeux, la comédie est basée sur une façon drôle de voir des choses graves. Il glissait dans mes films tout ce que je ne parvenais pas à y mettre moi-même, sans doute par pudeur. Voilà son génie : rendre palpable, derrière un vernis de légèreté, une insondable tristesse, une impression de la fragilité des êtres et des choses, que tout est perdu ou va se perdre. » Malgré l’autocritique, le cinéaste ajoute : « Quand je revois Les Tribulations aujourd’hui, je trouve qu’elles confondent rythme et précipitation. Mais elles me touchent d’une autre manière, car elles contiennent mes meilleurs souvenirs d’amitié et d’insouciance avec Belmondo. On avait trente ans, on était des gosses auxquels le cinéma payait des jouets grandeur nature. »
À sa sortie le 4 décembre 1965, le film est un triomphe avec un total de 2.701.748 entrées. De tous les films de Philippe de Broca avec Jean-Paul Belmondo, Les Tribulations d’un Chinois en Chine est le quatrième plus gros succès derrière L’Homme de Rio (4.800.626 entrées), Cartouche (3.606.565 entrées) et Le Magnifique (2.803.412 entrées), et juste devant L’Incorrigible (2.568.325 entrées), l’acteur-cascadeur ayant été un véritable porte-bonheur pour le cinéaste.
par Jérémie Imbert
***BONUS***
Exercice sur la réalisation d’un trailer de jeu vidéo à partir des Tribulations d’un Chinois en Chine