Hommage à Claude Bolling, le magnifique

Hommage à Claude Bolling, le magnifique

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Claude Bolling - DRHomme de jazz, de variété et de cinéma, il était un peu notre Henry Mancini. Claude Bolling s’est envolé le 29 décembre 2020 à l’âge de 90 ans.

Pendant quatre décades prodigieuses, écrire pour l’image lui a donné l’occasion d’emprunter des sentiers inédits, de déployer le nuancier du lyrisme, de la tension, mais aussi de la fantaisie, à travers des comédies signées Philippe de Broca, Pierre Tchernia, Édouard Molinaro, Jean Girault, Michel Boisrond, Gérard Pirès, Philippe Clair, Herbert Ross… et même Buster Keaton. Écoutez les bandes très originales de Bolling et c’est toute une époque du cinéma français populaire qui renaît : Delon, Belmondo, le son typique des polars de ces années-là, le timbre du piano-mécanique, le verbe de Michel Audiard ou Pascal Jardin… En un mot, des mitraillettes à camembert aux tribulations parodiques de l’espion Bob Saint-Clar, le nom de Claude Bolling a illuminé de swing et de lyrisme le grand écran de notre mémoire musicale. Morceaux choisis de ses souvenirs cinématographiques.

La place du cinéma dans son parcours
Pour moi, le cinéma est un détonateur à idées, qui m’amène à explorer des territoires que, sans le film comme alibi, je n’aurais jamais explorés. En soi, chaque long-métrage est une nouvelle gageure. Car la bonne musique de film doit tenir compte des bruits, des ambiances, des voix des comédiens. Techniquement, le travail consiste à composer une partition qui fonctionne harmonieusement avec les autres éléments de la bande sonore. Ce qui est à la fois contraignant et provoquant : ça vous oblige à réfléchir différemment, à trouver des idées auxquelles on ne penserait pas a priori. Ce qui ne me dérange pas, bien au contraire : paradoxalement, j’ai toujours trouvé une très grande liberté dans la contrainte.

Premiers pas dans la musique de film
À vrai dire, le déclic s’est produit à l’époque où j’accompagnais Dario Moreno, vers 1957. J’étais l’un des arrangeurs à la mode dans l’écurie Philips. J’avais planté ma tente dans les studios du boulevard Blanqui : j’écrivais, j’enregistrais ; j’enregistrais, j’écrivais. À cette époque, Dario a été la vedette d’une comédie de John Berry, Oh ! qué mambo, dont Guy Magenta devait signer la partition. Comme Guy était simplement mélodiste, on m’a logiquement demandé d’écrire les orchestrations puis de diriger les séances. Le résultat a été jugé convaincant, ce qui m’a amené des propositions de courts-métrages, puis celles de Jacques-Gérard Cornu pour L’Homme à femmes* et d’Edmond Gréville pour Les Mains d’Orlac*. C’était une opportunité qui s’offrait à moi, je la saisissais. Ma famille maternelle, c’est le jazz. La variété et le cinéma, ce sont mes deux familles d’adoption.

Du mou dans la gâchette (Louis Grospierre, 1967) - Musique de Claude Bolling
Borsalino (Jacques Deray, 1970) - Musique de Claude Bolling
Le Mur de l'Atlantique (Marcel Camus, 1970) - Musique de Claude Bolling
On est toujours trop bon avec les femmes (Michel Boisrond, 1971) - Musique de Claude Bolling

Avantages à écrire pour l’image
Peu à peu, le cinéma m’a entraîné sur des chemins inattendus. C’est Michel Boisrond qui m’immerge dans la musique irlandaise pour On est toujours trop bon avec les femmes*, c’est Marcel Camus qui m’invite a créer le fond sonore des premières discothèques dans Vivre la nuit*, avant de me demander une marche énergique pour rugbymen britanniques dans Le Mur de l’Atlantique*. En terme de méthode, ma théorie est claire : la musique pour l’image, c’est soit du ballet, soit du cirque. Je m’explique : soit, comme dans un ballet, la musique est écrite et enregistrée avant. Et la mise en scène, comme la chorégraphie, se plie à la structure de la musique. Soit, comme dans le cirque, la musique arrive après et suit au mieux le spectacle déjà mis au point. Ça peut paraître simpliste mais les choses fonctionnent vraiment selon cette alternative. Personnellement, j’ai préféré travailler en amont, mûrir mes idées et enregistrer des partitions sur lesquelles l’image a été conçue. Ce qui a été le cas sur Borsalino*, mais aussi sur Hasards ou coïncidences* de Claude Lelouch et bien sûr sur les deux Lucky Luke* de Morris et René Goscinny. Pour un compositeur, le dessin animé requiert une technique particulière. J’ai composé sur un simple découpage technique, en sachant uniquement que, de 1’14 à 1’16, les Dalton montent à cheval, à 1’17 Averell se prend les pieds dans ses étriers, à 1’20 ils se mettent à galoper, etc. Puis, dans un second temps, l’image a été dessinée et animée, sur le rythme de la musique, sa dynamique, ses inflexions. Regardez la séquence du rêve psychédélique façon comédie musicale dans La Ballade des Dalton* : la fusion image / musique y est magique.

Daisy Town (René Goscinny, 1971) - Musique de Claude Bolling
La Mandarine (Édouard Molinaro, 1972) - Musique de Claude Bolling
Le Magnifique (Philippe de Broca, 1973) - Musique de Claude Bolling
Deux grandes filles dans un pyjama (Jean Girault, 1974) - Musique de Claude Bolling

Conséquences de Borsalino sur sa carrière
C’est très simple : dès lors, les décideurs m’ont catalogué comme « spécialiste du rétro » ! J’exagère, mais à peine. Quand Robert Velin, le producteur des Brigades du Tigre*, m’a appelé, sa demande était sans ambiguité : « Claude, écrivez-nous quelque chose d’aussi bien que Borsalino ! » Sur la simple lecture des scénarios de Claude Desailly, j’ai donc élaboré un thème générique évoquant les caractères et l’époque des Brigades, aussitôt retenu par le réalisateur, Victor Vicas. Velin, lui, s’est exclamé : « Finalement, ce n’est pas aussi bien que Borsalino… c’est mieux que Borsalino ! » (rires) D’ailleurs, la démarche musicale était la même que celle du film de Deray : je me suis appliqué à mettre au point une écriture moderne à l’intérieur d’un parfum rétro. S’il avait été écrit en 1907, le thème des Brigades n’aurait jamais comporté des quintes diminuées ou des septièmes majeures. De la même façon, le succès de la Suite pour flûte et trio jazz m’a amené à prolonger sa formule instrumentale sur des comédies comme California Suite* d’Herbert Ross ou La Revanche de Pierre Lary. C’est autant un constat qu’une lapalissade : au cinéma et à la télévision, on vous engage pour ce que vous avez déjà réussi.

Dis-moi que tu m'aimes (Michel Boisrond, 1974) - Musique de Claude Bolling
Le Mille pattes fait des claquettes (Jean Girault, 1977) - Musique de Claude Bolling
La Ballade des Dalton (René Goscinny, Henri Gruel, Morris, Pierre Watrin, 1978) - Musique de Claude Bolling
California Suite (Herbert Ross, 1978) - Musique de Claude Bolling

Cinéastes les plus sensibles à son écriture
Steamboat Bill Jr (Chas. F. Reisner et Buster Keaton, 1928) - Musique de Claude Bolling
Je dirais Jacques Deray, Morris et Goscinny, Pierre Tchernia, Claude Pinoteau. Et un grand cinéaste que je n’ai jamais rencontré : Buster Keaton, saint-père du burlesque moderne. À la fin des années soixante, on m’a proposé de mettre en musique trois classiques keatoniens : La Croisière du Navigator*, Cadet d’eau douce* et Fiancées en folie*.  Il est troublant d’écrire sur des images  tournées avant même sa naissance. On m’a d’ailleurs appris que Keaton disposait d’un petit orchestre, caché derrière la caméra, afin que son jeu respecte une certaine métrique, une certaine fluidité aussi. Sa gestuelle, sa vélocité poétique m’ont inspiré des musiques aux rythme et tempo sûrement proches de celles sur lesquelles il avait tourné…

J’ajouterais volontiers Philippe de Broca, que j’ai rencontré sur Le Magnifique. On était en juillet 1973, Philippe venait de rentrer de son tournage au Mexique. À l’époque, le film s’appelait encore Comment détruire la réputation du plus célèbre agent secret du monde. J’ai vu un premier montage qui m’a fait forte impression. Philippe avait joué sur toutes les interactions possibles entre le réel et l’imaginaire, en trouvant toujours une solution originale pour passer d’un univers à un autre. C’était aussi la mission de la musique : personnaliser chaque monde. Un pan de la partition est orienté vers l’évasion et l’exotisme, un autre vers le quotidien. Une sorte d’équilibre entre le réalisme et le rêve. Précisément, Christine* et Tatiana* sont deux versants, deux facettes d’un seul et même thème illustrant la dualité du personnage : Tatiana, l’espionne de charme dans l’imaginaire ; Christine, l’étudiante en sociologie dans la vraie vie. De facture romantique, Tatiana colle au caractère sensuel de la voluptueuse aventurière. Avec une forme d’exagération ironique dans les suspensions, notamment quand Belmondo saute au ralenti par-dessus la portière de sa décapotable. [Écouter l’album]

Le vis-à-vis avec le cinéaste
Le travail en collaboration m’a toujours passionné. J’aime la confrontation avec un interprète, jazz ou classique, un auteur, un dramaturge… ou un metteur en scène. Ma chance a été de pouvoir composer pour des cinéastes aussi différents les uns des autres. Peut-on trouver plus opposé que René Clément et Jean Girault ? D’un réalisateur à l’autre, il existe une immense diversité de caractères, d’exigences, et autant de rapports à la musique. Ma mission a aussi été de les aider à prendre du recul. Car souvent, les metteurs en scène sont tellement immergés dans leur travail qu’ils perdent de vue les qualités et défauts de leur film. En le visionnant pour la première fois, le compositeur aura un œil neuf, une vision fraîche et globale… et parfois une meilleure sensation des besoins musicaux que le cinéaste lui-même. C’est l’une des clés d’une bande originale réussie : à la première projection de travail, ne pas regarder le film en compositeur mais d’abord en spectateur. Voilà le message que je voudrais transmettre aux jeunes musiciens du XXIème siècle qui feront la musique de film de demain.

Claude Bolling (2011) un documentaire de Bruno Bolla et Guiliano Severini

Propos recueillis par Stéphane Lerouge

Extrait du coffret 3 CD Bolling Story
(Frémeaux & Associés, 2015)

coffret 3 CD Bolling Story (Frémeaux & Associés, 2015)

Site officiel de Claude Bolling

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