Hommage à Jean-Claude Carrière

Hommage à Jean-Claude Carrière

Jean-Claude Carrière s’en est allé rejoindre d’un pas tranquille plusieurs de nos amis d’Avida sur la Montagne Sacrée. Nous avons le souvenir d’un être délicieux, à l’œil vif, aux propos magiques, à la patience rare, aux silences légers. Heureux nous sommes de vous avoir croisés, toi et tes mots, en ce monde souvent trop lourd.
Benoît Delépine

Qu’un homme aussi humble, aussi créatif, aussi cultivé, aussi hétéroclite, aussi curieux, aussi humaniste, soit mort, c’est surréaliste !
Gustave Kervern

Écrivain, metteur en scène et scénariste illustre, Jean-Claude Carrière vient de nous quitter le 8 février 2021 à l’âge de 89 ans.

De gauche à droite et de haut en bas : Robert Mulligan, William Wyler, George Cukor, Robert Wise, Jean-Claude Carrière, Serge Silberman, Charles Champlin (L.A. Times), Ralf Buñuel, Billy Wilder, George Stevens, Luis Buñuel, Alfred Hitchcock, Rouben Mamoulian - © Marv Newton/MPTV/Bureau 233De gauche à droite et de haut en bas : Robert Mulligan, William Wyler, George Cukor, Robert Wise, Jean-Claude Carrière, Serge Silberman, Charles Champlin (L.A. Times), Ralf Buñuel, Billy Wilder, George Stevens, Luis Buñuel, Alfred Hitchcock, Rouben Mamoulian – © Marv Newton/MPTV/Bureau 233

Fils de viticulteurs né le 19 septembre 1931 à Colombières-sur-Orb, Jean-Claude Carrière débarque à Paris en 1945. Son goût du burlesque naît à cette période : « En arrivant à Paris à la fin de la guerre, je découvre le cinéma américain. Un déluge de films, j’allais au cinéma trois fois par jour. Le grand choc, c’est Le Dictateur, de Chaplin, tourné en 39-40, interdit pendant l’Occupation. Avant même que la paix soit signée, en avril 1945 – j’ai 13 ans et demi –, mon parrain, de retour d’Allemagne où il était prisonnier, m’emmène au Gaumont-Palace. Quatre mille spectateurs rient, applaudissent devant Chaplin en Hitler, c’est un fantastique sentiment de victoire. »

Jean-Claude Carrière à propos de Jacques Tati – La Vie de château (31 mars 1984)

Titulaire d’une maîtrise de lettres et d’histoire, il écrit son premier roman, Lézard, à l’âge de 25 ans. Alors qu’il écrit des adaptations littéraires des Vacances de Monsieur Hulot et de Mon oncle de Jacques Tati, le jeune écrivain fait la rencontre début 1958 de Pierre Étaix qui illustre ces deux livres. De cette première collaboration naît peu à peu une amitié. En témoigne la photo ci-dessus où les deux amis se sont grimés en Laurel & Hardy.

Jean-Claude Carriere en juin 1992 - © Jérôme Chatin - Gamma-Rapho

« Moteur… Action ! » En 1961, les deux hommes écrivent et réalisent Rupture, un court-métrage burlesque diffusé dans les salles de cinéma en avant-programme de La Guerre des boutons. Le triomphe du film d’Yves Robert (10.028.202 entrées) contribue à la notoriété du court-métrage.

Rupture (1961) de Pierre Étaix et Jean-Claude Carrière

Dans la foulée, le duo écrit et tourne Heureux anniversaire, qui obtient en 1963 l’Oscar du meilleur court-métrage à Hollywood. Conjointement à celle du comédien, la carrière cinématographique de Jean-Claude Carrière est bel et bien lancée… sous le signe du burlesque. En 1962, tous deux s’attèlent à l’écriture d’un long-métrage mettant en vedette la silhouette keatonienne de Pierre Étaix en jeune homme d’excellente famille à la recherche d’une épouse. Sorti le 13 février 1963, Le Soupirant rassemble 1.513.512 spectateurs dans l’Hexagone et obtient notamment le Prix Louis Delluc 1963 ainsi que le Prix du Film comique au Festival de Moscou.

Jean-Claude Carrière et Pierre Étaix sur le tournage du Soupirant en 1962 - © DR

Fort de ce succès à la fois public et critique, les deux hommes signent par la suite trois comédies burlesques marquantes : Yoyo (1965), Tant qu’on a la santé (1966) et Le Grand amour (1969).

Le Soupirant (Pierre Étaix, 1962)
Yoyo (Pierre Étaix, 1965)
Tant qu'on a la santé (Pierre Étaix, 1966)
Le Grand amour (Pierre Étaix, 1969)

De la rencontre déterminante de Carrière avec Luis Buñuel naissent six films dont deux comédies inoubliables : Le Charme discret de la bourgeoisie (1972) et Le Fantôme de la liberté (1974). De Un chien andalou (1929) à Cet obscur objet du désir (1980), Luis Buñuel s’est imposé comme le cinéaste du surréalisme et de la subversion sous toutes ses formes. Le Charme discret de la bourgeoisie, le long-métrage le plus célèbre de sa longue filmographie, est aussi son plus drôle. Lors de la préparation du film, Buñuel et Jean-Claude Carrière imaginent une histoire basée sur la répétition. Un premier scénario décrit un crime reproduit sans cesse, de sa première réalisation à sa reconstitution policière après l’arrestation de l’assassin. L’idée séduit le cinéaste et son scénariste, mais au bout de quelques pages, les deux hommes se retrouvent dans une impasse.

Luis Buñuel et Jean-Claude Carrière en 1969 à Tolède - © Mary Ellen Mark
Luis Buñuel et Jean-Claude Carrière en 1969 à Tolède - © Mary Ellen Mark

Ils en sortent enfin le jour où leur producteur, Serge Silberman, leur raconte l’histoire authentique d’un dîner organisé à son domicile un soir où il avait prévu d’autres plans. Dans Le Charme discret de la bourgeoisie, un groupe de notables comprenant un ambassadeur (Fernando Rey), ses amis Sénéchal (Jean-Pierre Cassel) et Thévenot (Paul Frankeur) ainsi que leurs épouses respectives, tente par tous les moyens de mettre sur pied un dîner qui n’aura jamais lieu. Ces personnages de la haute société bourgeoise finement caricaturés évoluent dans une boucle surréaliste parsemée de séquences absurdes et d’incidents drôlatiques.

En 1978, Le charme discret de la bourgeoisie vaut à Buñuel et Carrière une nomination à l’Oscar du meilleur scénario original, finalement gagné par Alvin Sargent pour Julia. La collaboration entre les deux artistes, qui aura duré dix-neuf ans, se poursuit avec Le Fantôme de la liberté (1974) puis avec Cet obscur objet du désir (1977), dernier film du cinéaste, qui meurt en 1983.

Le Charme discret de la bourgeoisie (Luis Buñuel, 1972)
Le Fantôme de la liberté (Luis Buñuel, 1974)
Cet obscur objet du désir (Luis Buñuel, 1977)

Outre son travail hors comédie avec des cinéastes comme Jesús Franco (Le Diabolique docteur Z, Cartes sur table), Jacques Deray (La Piscine, Borsalino…), Volker Schlöndorff (Le Tambour, Un amour de Swann, Le Roi des aulnes), Jean-Luc Godard (Sauve qui peut (la vie)), Daniel Vigne (Le Retour de Martin Guerre), Andrzej Wajda (Danton, Les Possédés), Philip Kaufman (L’Insoutenable Légèreté de l’être), Jean-Paul Rappeneau (Cyrano de Bergerac, Le Hussard sur le toit), Carrière croise la route de Louis Malle en mai 1968, et écrit avec lui le scénario et les dialogues de deux réjouissantes comédies : Viva Maria ! (1971) et Milou en mai (1990), ce dernier faisant écho aux évènements vécus par les deux hommes lors de leur rencontre vingt ans auparavant.

Luis Buñuel, Jean-Claude Carrière et Louis Malle - DR

Parmi les autres comédies marquantes de la filmographie de Jean-Claude Carrière, citons Taking Off (1971), premier film réalisé aux États-Unis par le cinéaste tchèque Milos Forman (avec qui il travaillera à nouveau sur Valmont en 1989 et Les Fantômes de Goya en 2006), Julie pot-de-colle (1977) réalisé par Philippe de Broca, et plus récemment L’Homme fidèle (2018) de Louis Garrel.

Taking Off (Milos Forman, 1971)
Julie pot-de-colle (Philippe de Broca, 1977)
Milou en mai (Louis Malle, 1990)

Le 6 mars 2000, Jean-Claude Carrière reçoit des mains de la Guilde des scénaristes américains le Prix Laurel de l’écriture cinématographique pour l’ensemble de sa carrière, et le 8 novembre 2014, il reçoit un Oscar d’honneur des mains de l’Academy.

En 2006, après quelques rares apparition en tant que comédien dans Heureux anniversaire, Le SoupirantJulie pot-de-colle, Ils sont grands ces petits, L’Associé ou Vive les femmes !, Jean-Claude Carrière interprète un riche paranoïaque dans Avida, la plus buñuelienne des comédies du duo Grolandais Benoît Delépine et Gustave Kervern. « Coupez ! »

Jean-Claude Carrière et Gustave Kervern dans Avida (Benoît Delépine et Gustave Kervern, 2006) - © Ad Vitam

par Jérémie Imbert

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