À l’occasion de la sortie au cinéma de Demi-sœurs, nous avons pu rencontrer le réalisateur François-Régis Jeanne qui, après une filmographie composée essentiellement de documentaires, se lance dans la fiction aux côtés de Saphia Azzeddine.
Comment passe-t-on du documentaire Fucking Kassovitz à la comédie Demi-sœurs ?
J’ai appris le cinéma en allant interviewer les gens que j’admirais, en les observant, en voyant tout ce qu’il fallait éviter sur un tournage (Fucking Kassovitz). J’ai fait des documentaires sur la comédie dont Michel Audiard et le mystère du triangle des Bermudes et deux autour de Francis Veber, La Saga Pignon et La Mécanique du rire. Veber est un maître de la structure scénaristique. Il ne veut pas que les dialogues sortent trop de cette mécanique, il veut que ça soit intégré aux situations. Michel Audiard, c’est différent : il était payé pour écrire 25 répliques percutantes qui égayaient un film et faisait que les gens couraient le voir. Ensuite, j’ai assisté aux séminaires de Steve Kaplan sur la comédie, j’ai suivi des études à UCLA avec Stephen Mazur qui avait écrit Menteur menteur avec Jim Carrey. La rencontre avec Saphia Azzeddine a été un mariage arrangé par SND. J’avais fait avec eux Break, un film de Marc Fouchard avec Sabrina Ouazani [au cinéma le 18 juillet 2018, ndlr]. Fort de cette expérience, j’étais en train de développer un projet de comédie avec Empreinte Cinéma, SND et Empreinte Cinéma m’ont dit « on cherche un coscénariste » et je me suis retrouvé à travailler avec Saphia pendant un an. Ça s’est bien passé entre nous, je pense que nous étions assez complémentaires, d’abord sur le scénario, puis elle m’a proposé de coréaliser le film. J’avais lu ses livres (Confidences à Allah, Bilqiss…) et la colère féminine qui les imprégnait m’avait vraiment séduit. Saphia avait trouvé très drôle mon film God save Connasse et avait adoré Fucking Kassovitz. Dans mes documentaires, je rassemblais des pièces afin de créer un puzzle cohérent qui me touche et qui, j’espère, touche aussi les spectateurs. Je pense que Saphia s’est dit « s’il arrive avec trois bouts de ficelles à faire un film où on est tenu du début à la fin, ce sera bénéfique à notre film ».
Quelles sont les comédies qui t’ont influencé ?
Breakfast Club, sur la confrontation de plusieurs personnes qui finissent par dépasser les étiquettes. C’est drôle et touchant à la fois. On avait un peu le même thème, des filles qui ont des étiquettes, chacune se servant de la sienne pour se protéger. J’adore Un jour sans fin. C’est très drôle, j’aime la résonance philosophique, existentialiste sans l’aspect cérébral, qui permet plusieurs niveaux de lecture. Le Fanfaron, là encore sur la confrontation de deux personnages antagonistes, un Trintignant introverti face à un Gassman exubérant qui lui donne des leçons de vie. Même dans I Vitelloni de Fellini, j’aime les aspects de comédie qui ont en même temps une résonance profonde. Sans oublier les comédies de Billy Wilder, de Francis Veber et de Michel Hazanavicius.
Comment avez-vous collaboré au scénario ?
L’idée du film vient de Saphia, elle avait commencé à bien brosser les personnages, on a passé un an à affiner le scénario, à retravaillé le parcours des demi-sœurs, à ajouter un antagoniste un peu fort et drôle : d’inspiration familiale, le notaire est arrivé sur la fin. Ce qui m’a touché et donné envie de travailler sur le projet, c’est le thème de la famille recomposée. Du côté de ma mère, j’ai quatre frères et sœurs, du côté de mon père, j’ai un demi-frère et les enfants de quatre belles-mères. Donc la famille recomposée qui sait aller au-delà des différences, c’est du vécu, et ça me touchait émotionnellement.
Comment s’est passée la mise en scène ?
Notre objectif était de tendre vers l’élégance des comédies américaines. Le premier plan du film est d’ailleurs un hommage à Diamants sur canapé, et malgré des moyens plus modestes que ceux du film de Blake Edwards, on a essayé de mettre constamment en valeur nos décors, que ce soit le pont Alexandre III, l’ancien appartement de Brigitte Bardot qu’on a transformé en « rooftop », etc. La marque de fabrique de Empreinte Cinéma, c’est de créer l’illusion d’une superproduction avec un budget contenu. Je trouvais le défi passionnant. J’ai pu enfin mettre en application les conseils avisés des metteurs en scène avec qui j’avais travaillé et que j’admire : Mathieu Kassovitz, Fred Cavayé et Michel Hazanavicius. Leur conseil principal : pour créer de la valeur ajoutée, le secret est de bien s’entourer. On a fait un casting d’artistes-techniciens assez pointus qui nous a notamment conduit vers le chef opérateur Christophe Graillot (Un sac de billes, Belle et Sébastien 2) qui nous a apporté une touche magique qui surprend les spectateurs quand ils connaissent le budget du film. Pour le montage, on est allé cherché Dimitri Amar, fan des comédies visuelles à la Edgar Wright et qui monte essentiellement des films de genre (La Horde, The Bride) et avec qui j’avais travaillé sur Qui veut la peau d’Olivier Marchal ?.
Ton expérience sur les documentaires t’a-t-il servi pour Demi-sœurs ?
Mon travail a d’abord été de remettre du rythme dans le scénario (qui était très dialogué), au moment du tournage, puis en salle de montage. Pour le casting des comédiennes, j’avais compris avec Cédric Klapisch en travaillant sur Ten Years After, où on retrouvait l’équipe du Péril jeune dix ans après sa sortie, l’importance de l’alchimie dans un casting. On a choisi trois actrices très fraîches avec des personnalités distinctes. Il fallait que les sœurs soient différentes et similaires à la fois.
Sabrina Ouazani, Charlotte Gabris et Alice David avaient fait pas mal de comédies dans des styles très différents. Notre rôle était que ça fonctionne ensemble. De plus, en travaillant en 2004 sur La Revanche du primate, un documentaire sur Coup de tête de Jean-Jacques Annaud, j’ai réalisé la puissance des seconds rôles et nous avons décidé de leur accorder une place importante dans Demi-sœurs. Preston Sturges disait que « les tripes d’un film, c’est les seconds rôles ». Entre Sam Karmann, Patrick Chesnais, Ouidad Elma, Barbara Probst, Luana Duchemin, Romain Lancry, Antoine Gouy, Sophie Duez, Meriem Serbah… le film est très bien servi.
Peux-tu nous parler du travail avec les comédiens ?
On souhaitait avoir deux semaines de répétitions pour que les filles se rôdent entre elles. Ça n’a pas été possible, tout s’est précipité, c’est le charme des films à petit budget. On a quand même fait des lectures, puis elles ont développé leur personnage chacune de leur côté. Une fois en tournage, la contrainte de temps – 5 semaines et 3 jours de tournage – nous a obligés à limiter chaque plan à 5 ou 6 prises maximum, ce qui les a obligées à être juste rapidement. Comme les trois filles se sont très bien entendues (Charlotte et Alice se connaissaient déjà), elles avaient une forte envie de jouer ensemble, et notre rôle a été de leur faire conserver leur énergie jusqu’à ce qu’on dise « action ! ». Antoine Gouy a quant à lui un instinct de comédien très créatif, très enfantin, ce qui est une qualité pour un acteur, et il nous a servi quelques perles dans ses scènes avec Charlotte Gabris, à qui nous avions demandé d’avoir un regard fixe un peu inquiétant. Ce couple improbable nous a constamment réjoui. On a évité le second degré dans l’écriture des personnages. Le rôle ayant le plus de second degré est celui du notaire, joué par Patrick Chesnais, qui amène un peu de piment à l’ensemble. Comme Louis de Funès ou les acteurs de théâtre, Chesnais nourrit beaucoup son énergie des rires du public. Sur le plateau, il prenait d’abord ses marques, puis il intensifiait son jeu et devenait très drôle. Dans un autre registre, Sam Karmann a un comique plus pince-sans-rire. Quand il déclare « Je suis pas déprimé, je suis ashkenaze », il ne met aucune intention comique, et c’est ça qui est drôle.
Contrairement à de nombreuses comédies où les acteurs surjouent, vous avez eu le bon goût de faire jouer les acteurs simplement.
Notre volonté était effectivement que les acteurs jouent « sincère » comme me le répétait Veber à l’époque où je le côtoyais. Pierre Richard m’avait raconté que Veber retirait des blagues entre la première et la dernière version du scénario. Il lui demandait pourquoi, et Veber lui répondait : « Si je conserve cet éclat de rire à cet endroit précis, le spectateur ne croira plus au personnage et la situation 20 pages plus loin ne fonctionnera plus ». Le mot d’ordre était donc de faire confiance au texte, aux personnages et aux situations. Plus que les diriger, nous avons tout fait pour leur donner confiance, et leur avons dit qu’elles étaient déjà drôles en envoyant juste ce qu’il fallait, et qu’elles n’avaient pas besoin d’en faire des tonnes. Le danger est de devenir fan de tes comédiens et de ne plus te rendre compte quand ils t’emmènent trop loin. Il faut avouer que Alice, Charlotte et Sabrina sont très séduisantes et très drôles. Saphia aussi d’ailleurs. Elle a un humour piquant, comme dans ses livres. Dans Demi-sœurs, on n’a pas tout envoyé d’entrée de jeu, on a préféré installer les situations, les faire évoluer en espérant que ce soit payant et que les spectateurs se disent en sortant « on a bien rigolé en compagnie de vrais personnages qui nous touchent ».
Propos recueillis par Jérémie Imbert
© Photo image à la une : Céline Oms
Réalisation : Saphia Azzeddine, François-Régis Jeanne
Scénario-adaptation-dialogues : Saphia Azzeddine, François-Régis Jeanne avec la collaboration de Joris Morio
Casting : Sabrina Ouazani, Charlotte Gabris, Alice David, Barbara Probst, Patrick Chesnais, Meriem Serbah, Ouidad Elma, Antoine Gouy, Nicolas Bridet, Sam Karmann, Tiphaine Daviot, Luana Duchemin, Romain Lancry, Ander Lafond, Anne Loiret…
Musique : Hugo Gonzalez-Pioli, Damien Bonnel
Pays : France
Durée : 1h45
Distribution : SND
Bande-annonce / Dossier de presse
Synopsis : Lauren, ravissante it-girl de 29 ans, tente de percer dans le milieu de la mode en écumant les soirées parisiennes. Olivia, 28 ans et un rien psychorigide, a deux obsessions : sauver la confiserie de ses parents et trouver le mari idéal. À 26 ans, Salma, jeune professeur d’histoire fougueuse, vit encore chez sa mère en banlieue. Leurs routes n’ont aucune raison de se croiser jusqu’au jour où, à la mort de leur père biologique qu’elles n’ont jamais connu, elles héritent ensemble d’un splendide appartement parisien. Pour ces trois sœurs qui n’ont rien en commun, la cohabitation va s’avérer pour le moins explosive…