The Blues Brothers raconté par John Landis et Dan Aykroyd

The Blues Brothers raconté par John Landis et Dan Aykroyd

Sorti en France le 7 novembre 1980 (cinq mois après sa sortie aux USA le 20 juin), The Blues Brothers fête cette année ses 40 ans. En exclusivité pour CineComedies, John Landis (scénariste et réalisateur) et Dan Aykroyd (scénariste et acteur) reviennent sur la création d’un film culte au casting musical légendaire.

Quelle est l’origine des Blues Brothers ?
John Landis : Dan Aykroyd est Canadien, il habitait à Toronto à l’époque et il faisait partie d’une troupe de théâtre itinérante qui s’appelait Second City. John Belushi faisait partie de la même troupe à Chicago. Ils sont devenus amis et ils ont rapidement mis au point le numéro de Jake et Elwood dans les bars et les petites salles où ils se produisaient. Howard Shore (compositeur des BO des films de David Cronenberg, ndr.) leur a suggéré de s’appeler The Blues Brothers. Quand ils sont arrivés à Saturday Night Live, Dan et John demandaient sans cesse à Lorne Michaels, le producteur de l’émission, s’ils pouvaient apparaître en tant que The Blues Brothers dans le show. Lorne ne voulait pas. À cette époque, chaque fois que Delbert McClinton et Willie Nelson venaient jouer à New York, ils appelaient Dan et John pour qu’ils fassent leur numéro sur scène. Je travaillais à l’écriture du script d’American College pour Universal au même moment. Dan, John et Chevy Chase devaient jouer dans le film. J’ai dû aller à New York pour convaincre Lorne Michaels de lâcher Dan, John et Chevy pour quelques semaines. Lors d’un dîner, Dan m’a dit qu’il avait déjà un autre projet en tête : le film des Blues Brothers. Universal a financé un projet de scénario pour calmer un peu tout le monde. Tout ce qui les intéressait, c’était American College, ils se foutaient éperdument des Blues Brothers… Dan et John avaient pris l’habitude de chauffer le public de Saturday Night Live en chantant des morceaux des Blues Brothers. Steve Martin les a vus un soir, et il les a immédiatement invité à le rejoindre à Los Angeles pour effectuer ses premières parties. Avec l’aide de Paul Schaeffer, Dan et John un monté un groupe extraordinaire avec Steve Cropper, Donald « Duck » Dunn et Al Jackson Jr. Steve Cropper est un monstre : il a composé toutes les chansons qu’Irving Berlin à oublié d’écrire (rires) ! Atlantic Records a enregistré le premier concert qui ouvrait le show de Steve Martin. Très rapidement, le groupe a enfin participé à Saturday Night Live, qui est devenue une émission culte. American College a été un énorme succès et, à notre grande surprise, le disque a été triple album de platine en quelques semaines. John Belushi était la star de la plus grande émission du pays, du film n°1 au box-office et du disque en tête du Billboard. Les gens d’Universal n’ont pas tardé à revenir moi pour me demander : « c’est à nous tout ça ? » (rires). J’avais sept mois pour faire le film.

John Landis et Dan Aykroyd sur le ournage de The Blues Brothers (1980) - DR

Le blues et la soul, les genres centraux du film, sont-elles vos musiques de prédilection ?
Dan Aykroyd : Mon premier disque, c’était Evil d’Howlin’Wolf sur Chess Records. J’ai grandi au Canada et il y avait ce club, Le hibou, pas loin de l’université. Un groupe d’étudiants branchés m’a fait découvrir le folk et à l’époque, le blues était vraiment perçu comme une extension du folk aux Etats-Unis. Buddy Guy et B.B. King ne remplissaient pas des salles de 20.000 personnes, ça se passait dans des petites salles ou dans les clubs. Le revival du folk a entraîné celui du blues, et c’est comme ça que j’ai pu voir défiler au Hibou Howlin’ Wolf, Charlie Musselwhite, James Cotton des dizaines de fois. J’ai fait un peu de recherches sur la musique noire, je me suis mis aussi à écouter sur mon petit transistor les stations R&B de Boston, New York et Detroit en ondes courtes. Mais c’est la découverte de Stax/Volt et plus précisément un concert de Sam and Dave à Montréal en 1967 qui a tout changé. Ils ont joué « Soothe Me », une de leurs plus belles chansons, « Shake ». Vous connaissez la malédiction de « Shake » ? Tous ceux qui l’ont enregistrée sont morts peu de temps après. Quand on a commencé à travailler sur le premier album des Blues Brothers, et Cropper et Donald « Duck » Dunn m’ont dit « non, pas question ! » (rires). À l’époque, je n’aurais pas pu imaginer une seconde que je me retrouverais un jour sur la même scène que Sam and Dave et Steve Cropper, qui les accompagnait ce soir ! En réalité, les Blues Brothers sont un mélange du blues électrique de Chicago et de la soul de Memphis. Deux grandes villes de musique. De plus, les stars du blues, du rhythm & blues et du jump swing s’inspiraient beaucoup de la comédie. Les concerts de Cab Calloway au Cotton Club dans les années 1930 et 1940 étaient très drôles. Il blaguait avec le public, il dansait, faisait des acrobaties. On savait qu’on pouvait se servir de cette musique avec un super groupe derrière nous, être les frontmen dans la tradition de Wynonie Harris et Cab Calloway et présenter la musique par le filtre de la comédie tout en rendant hommage à son rythme et au songbook afro-américain. On a été capable de les fusionner grâce au talent du groupe avec le Dr. Steve Cropper, le guitariste d’Otis Redding, Matt Murphy, le guitariste de James Cotton et Paul Schaffer sans oublier le talent comique de John Belushi, le mien et de tous ceux qui sont dans le film.

John Landis et Ray Charles sur le tournage de The Blues Brothers (1980) - DR

Comment s’est déroulé le casting des artistes présents dans The Blues Brothers ?
John Landis : Aujourd’hui encore, on me demande comment nous avons réussi à obtenir Ray Charles, James Brown, Aretha Franklin, Cab Calloway et toutes ces légendes de la musique noire dans le film. C’était très simple : tous ces musiciens ne travaillaient pas à l’époque. MCA, une sous-branche d’Universal, a même refusé de sortir la bande originale tellement ces artistes n’étaient plus dans le coup. Finalement, on l’a sorti chez Atlantic, même si Ahmet Ertegun n’a pas voulu mettre la participation de John Lee Hooker sur le disque. « Il est trop vieux et trop noir ! » (rires). Dan Aykroyd et John Belushi ont fait quelque chose d’unique avec The Blues Brothers : ils se sont servis de leur célébrité pour mettre en avant tous ces artistes en passe d’être oubliés. Et ça a marché à tous les niveaux : tout le monde est revenu en force après le film.

The Blues Brothers (John Landis, 1980)Dan Aykroyd : On dit que toutes ces légendes étaient au creux de la vague, mais je ne suis pas tout à fait d’accord. À l’époque du film, Ray Charles continuait à enregistrer et à donner des tas de concerts. Bien sur, The Blues Brothers a donné à tous ces géants de la soul une nouvelle exposition face à la jeune génération. Leurs catalogues ont été réédités et beaucoup de monde s’est jeté dessus. Néanmoins, tous ces artistes ont surtout survécu grâce à leur talent. James Brown ne s’est jamais arrêté. Il tournait peut-être un peu moins, mais il attendait toujours son heure. Le rôle des Blues Brothers était celui d’un promoteur. Le public savait que Ray Charles, James Brown, Cab Calloway et les autres étaient toujours là et notre tâche était de leur rendre la lumière. Certains d’entre eux sont toujours là, d’autres ont disparu, mais ce n’est pas grave, car les géants de la soul ne meurent jamais.

John Landis : La passion et le savoir de Dan Aykroyd sur la soul et le rhythm’n’blues sont à la base du projet The Blues Brothers, mais il y avait aussi autre chose : Dan avait horreur du disco. En 1979, au moment du tournage, le rhythm’n’blues était totalement obsolète. Sur les radios, il n’y en avait que pour Abba et les Bee Gees. Même Cab Calloway voulait enregistrer une version disco de Minnie The Moocher pour la bande originale des Blues Brothers ! Il en avait déjà fait des versions cha-cha, rumba et twist, car il ressortait son morceau dès qu’une nouvelle danse apparaissait. Nous, on voulait l’original, et on l’a eu.

Ray Charles, Dan Aykroyd, John Belushi et John Landis sur le tournage de The Blues Brothers (1980) - DR

Quelles étaient les principales contraintes des séquences musicales de The Blues Brothers ?
John Landis : Je me suis très bien entendu avec James Brown. C’était un plaisir de travailler avec lui, sauf que sur le plateau, personne ne comprenait ce qu’il disait, à part moi (rires)… Dans Un fauteuil pour deux, Bo Diddley joue un prêteur sur gages. Il avait quelques répliques dans le film, et il parlait tellement vite que j’ai dû le doubler, mais Bo était très content du résultat. Dans The Blues Brothers, la plupart des performances sont filmées en playback, car c’est très difficile de filmer ce genre de séquence en direct. Par contre, dans The Blues Brothers 2000, la plupart des séquences musicales sont live grâce à la technologie numérique. John Lee Hooker et James Brown étaient les seuls à chanter live dans The Blues Brothers. Aretha Franklin et B.B. King avaient du mal à chanter en playback car ils sont incapables de chanter la même chanson de la même manière deux fois de suite. Par contre, Ray Charles était très impressionnant sur les playbacks. C’était parfait dès la première prise.

John Belushi, Dan Aykroyd et John Lee Hooker sur le tournage de The Blues Brothers (1980) - DR

Quels sont vos meilleurs et pires souvenirs du tournage de The Blues Brothers ?
Dan Aykroyd : Dans les meilleurs, je mettrais celui du tournage de la scène de l’église. Le gospel est une fondation de la culture noire américaine, et de la culture américaine en général. On a passé une semaine entière dans cette église, et chaque jour était merveilleux. « The Old Landmark », la chanson qu’interprète James Brown dans la scène, est un des titres les plus dynamiques du gospel, et voir James l’interpréter jour après jour était un moment complètement extraordinaire. James Brown a donné cinq shows à la House of Blues de Los Angeles, que j’ai crée en 1992. Chaque soir, j’ai eu la chance de chanter et danser avec lui, et je peux dire que nous étions très proches (En imitant James Brown à la perfection) : « C’mon, boy, sit down and give me a fresh one on the one. Good Lord ! » (rires). Un soir, je lui ai donné une pièce d’or commémorative du concert que nous venions de donner, car il en faisait la collection. Je ne l’avais jamais vu aussi ému…
Pour ce qui est des mauvais souvenirs, je songe au tournage à Chicago car c’était le moment où la cocaïne s’est mise à prendre le dessus sur le processus créatif. Bien sûr, j’y avais déjà goûté, mais je n’étais pas très fan. Ton cœur bat comme celui d’un lapin, c’est un vasoconstricteur et ton jugement est altéré. Pas fait pour le corps humain du tout ! L’équipe technique, les producteurs et bien sûr John (Belushi) en abusaient car on tournait la nuit, et il fallait bien rester debout. J’ai été soulagé quand le tournage a repris à Los Angeles.

John Landis et Dan Aykroyd sur le tournage de The Blues Brothers (1980) - DR

John, comment avez-vous travaillé la dynamique du tandem Belushi /Aykroyd ?
John Landis : Dans le film, Jake et Elwood sont des pinces-sans-rire. Vous vous souvenez du feuilleton Dragnet ? Il y a un peu de ça dans The Blues Brothers : on voulait faire de la comédie noire (en français, ndr). Et comme j’avais plein d’argent, je voulais être Mack Sennett et imiter les Keystone Cops. Nous étions jeunes et subversifs. Par exemple : le centre d’intérêt d’un acteur, ce sont ses yeux. C’est pour ça qu’on leur a mis des lunettes noires pendant tout le film !

Comment a été accueilli le film lors de sa sortie ?
John Landis : Les critiques n’ont pas été tendres avec le film. Pauline Kael, la célèbre critique du New Yorker, ne l’a pas aimé du tout. Dans sa chronique, elle avait remarqué que pendant la séquence du bar avec Aretha, j’avais seulement filmé les jambes de Lou Marini en train de jouer du saxo debout sur le comptoir. Sur le moment, j’avais trouvé ça drôle. Dans son article, elle a écrit « John Landis ne sait même pas composer un plan ! » (rires).

John Landis à Chicago lors de la sortie de The Blues Brothers le 20 juin 1980 - DR

Propos recueillis par Christophe Geudin

Pour en savoir plus
regardez John Belushi, Dan Aykroyd et John Landis en 1980 interrogés par Bobbie Wygant

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