La saga Bridget Jones (Le journal de Bridget Jones/Bridget Jones : l’âge de raison/Bridget Jones Baby) est la seule trilogie entièrement réalisée par des femmes, et la seule du genre comédie romantique du nouveau millénaire avec la même actrice dans le rôle-titre. Retour sur un phénomène… exclusivement féminin ?
Une étoile est née
Derrière Le Journal de Bridget Jones, il y a tout d’abord la romancière Helen Fielding. Diplômée d’Oxford et reporter en Afrique pour la BBC, elle plaque tout en 1995, ne supportant plus de côtoyer la misère au quotidien. Après l’échec de son premier roman Cause céleb’, elle est embauchée au quotidien The Independant, pour lequel elle écrit des articles sur « l’air du temps » ou encore « le nombre de petites culottes différentes chez Marks & Spencer ». Sa plume est vite remarquée et son rédacteur en chef lui confie une chronique aux allures de journal intime. Il rêve secrètement de savoir ce que pensent les femmes. Vaste programme… Refusant de trop parler d’elle et de se mettre à dos famille et amis, Helen Fielding crée sa jumelle fictive : Bridget Jones. Trentenaire, célibataire, gaffeuse au cœur d’artichaut, qui mange trop, boit trop, fume trop, elle égraine son lot d’aventures quotidiennes plus ou moins heureuses. Le succès est tel, qu’après avoir déménagé au Daily Telegraph, son agent lui conseille de réunir ses nouvelles en un roman. L’auteur rassemble ses écrits et trace une trame narrative d’un Noël à l’autre, puisant largement son inspiration chez Jane Austen et particulièrement Orgueil et préjugés, en en faisant une adaptation post-moderne. Elle l’avoue elle-même en 1999 : « J’ai piqué sans vergogne l’intrigue d’Orgueil et préjugés pour le premier roman. Je trouve qu’il a été très bien exploité depuis des siècles et elle ne m’en voudra probablement pas ». Le journal de Bridget Jones et sa suite, Bridget Jones : l’âge de raison, se vendent à plus de 15 millions d’exemplaires à travers le monde. Viendront ensuite, mais beaucoup plus tard en 2013 et 2016, deux tomes supplémentaires : Bridget Jones : folle de lui (le seul non adapté au cinéma) et Bridget Jones Baby.
Du roman à l’écran
Devant un tel succès littéraire, il devient évident pour Helen Fielding de transposer la vie trépidante de Bridget Jones sur grand écran. En 1997, elle contacte la société de production britannique Working title, responsable entre autres du succès Quatre mariages et un enterrement. Les producteurs Tim Bevan et Eric Fellner acquièrent les droits d’adaptation, flairant le potentiel du roman. Mais un problème de taille se pose : comment en faire un film sans dénaturer le roman, qui est écrit sous forme de journal intime, composé essentiellement de listes, de résolutions et de monologues intérieurs de l’héroïne ? Et surtout, comment ne pas décevoir les millions de lectrices (et lecteurs) assidus ? Pour en faire une adaptation aussi fidèle que possible, les producteurs engagent tout d’abord Andrew Davies, déjà scénariste de la mini-série Orgueil et préjugés pour la BBC, puis Richard Curtis, ex d’Helen Fielding et auteur de Quatre mariages… et Coup de foudre à Notting Hill. La romancière est également consultée pendant l’élaboration du scénario. Derrière la caméra, on découvre Sharon Maguire, qui signe son premier long-métrage. Meilleure copine de Fielding, elle a notamment inspiré le personnage de Shazza de la bande d’amis de Bridget Jones. Tous les ingrédients sont réunis pour en faire un succès commercial. Tous ? Enfin, presque. Il ne manque plus que l’actrice pour incarner Bridget.
Bridget/Renée : la fusion parfaite
Dès l’annonce de l’adaptation cinématographique du Journal de Bridget Jones, les actrices se bousculent pour incarner la célibattante : les sœurs Arquette, Juliette Binoche, Sophie Marceau, Cate Blanchett, Helena Bonham-Carter, Toni Collette, Cameron Diaz, Elizabeth Hurley, Nicole Kidman, Nicolette Sheridan, Tilda Swinton, Kristin Scott-Thomas, Emma Thompson, Kate Winslet, Catherine Zeta-Jones… pour les plus connues. Kate Winslet est jugée trop jeune et Toni Collette doit décliner le rôle car elle joue à Broadway. Sally Phillips a également auditionné pour le rôle, mais n’a pas été retenue. En revanche, elle a tellement impressionné les producteurs qu’ils lui confient le rôle de Shazza. Helen Fielding n’en démord pas, elle veut une inconnue pour incarner sa Bridget. Et c’est finalement Renée Zellweger qui est retenue, une… Texane ! C’est un drame pour les Britanniques qui ne comprennent pas comment une Yankee peut incarner l’héroïne londonienne. Mais Zellweger va prouver qu’une bonne actrice peut incarner n’importe quel rôle. Elle s’installe à Londres, travaille son accent avec Barbara Berkery, la coach de Gwyneth Paltrow sur Shakespeare in love et Pile & face, et dégote même un job d’assistante chez l’éditeur d’Helen Fielding, Picador, sous le pseudonyme de Bridget Cavendish. Pendant deux semaines, elle fait le café, les photocopies et répond au téléphone sans que personne se doute de sa véritable identité. Pari réussi. Si elle peut faire croire à des Anglais qu’elle est anglaise, elle pourra également le faire croire au monde entier. Pour parfaire sa transformation, l’actrice se soumet à un régime spécial à base de pizzas et de milk-shakes et prend douze kilos pour coller au corps de son personnage. Hugh Grant, à contremploi en salaud sexy, et Colin Firth, source d’inspiration de l’écrivain (le personnage de Mark Darcy est basé sur M. Darcy qu’il interprétait dans la série Orgueil et préjugés), viennent compléter le casting. Clin d’œil au roman puisque les deux acteurs y apparaissent, et Bridget, comme toutes les Britanniques de l’époque, fantasme sur Colin Firth.
Silence, on tourne !
Le tournage commence à Londres en mai 2000. L’équipe prend ses quartiers dans le South East London, notamment au Globe Tavern de Borough, qui représente la façade de l’appartement de Bridget. Elle fait ses courses au Borough Market pour concocter son inoubliable soupe bleue. Créé pour le tournage, le restaurant grec où Hugh Grant et Colin Firth se battent est tellement réaliste que de nombreux passants s’arrêtent pour pouvoir y déjeuner. Bridget traverse tous les jours le Tower Bridge pour aller travailler et passe par Picadilly Circus et ses enseignes clignotantes qui affichent des extraits de son journal intime. Le film se déroule d’un Noël à l’autre et de nombreuses scènes d’hiver ont été filmées en plein été. Les intérieurs, principalement l’appartement de Bridget, sont réalisés dans les studios de Shepperton. Les scènes de la maison d’édition Pemberley Press ont été tournées dans un immeuble londonien, dont le décor est inspiré des bureaux de Jerry Maguire. « Je voulais que le lieu de travail de Bridget soit vaste, intimidant, classieux, en contraste avec son appartement qui est à la fois sombre, humide et douillet », confie Sharon Maguire. La réalisatrice laisse libre cours à l’improvisation des acteurs, ce qui ajoute du comique aux scènes. La bagarre entre Mark Darcy et Daniel Cleaver n’est pas chorégraphiée et les acteurs s’empoignent comme deux manchots distingués. Hugh Grant improvise également lors de sa découverte de la mythique culotte géante de Bridget. Le scénario original prévoyait une fin différente, dans laquelle Bridget, 4 ans, embêtait Mark, 8 ans, dans la piscine du jardin des Darcy. La séquence a été tournée, puis coupée en post-production.
Une success story en marche
Avec un budget estimé à 25 millions de dollars, Le journal de Bridget Jones en rapporte plus de 280 et devient, en 2001, l’un des plus gros succès britanniques. Et les critiques sont plutôt positives. « Malgré ses aspects conventionnels [le film] se laisse apprécier avec grand plaisir » (Positif). « Bridget Jones est une bonne comédie, un conte acidulé des temps modernes » (Le Parisien). « Cerveau : moins 1. Bande son : 12. Plaisir : honteux, mais réel » (Libération). « Bridget Jones, a comic triumph » (Daily Mail). « Film of the Month » (Film Review). L’esprit du roman original est conservé, les fans sont comblés. Le deuxième film, Bridget Jones : l’âge de raison, est rapidement mis en route par les mêmes producteurs et scénaristes, mais Beeban Kidron, jugée plus expérimentée que la documentariste Sharon Maguire, la remplace derrière la caméra. Le film sort en 2004 et rapporte quant à lui 222 millions de dollars. La critique est nettement moins tendre cette fois-ci, déplorant des dialogues trop longs et trop vulgaires, et n’atteignant pas le niveau comique du premier film. Il faut ensuite attendre 2016 pour voir le dernier volet de la trilogie, Bridget Jones Baby, avec le « retour » de la première réalisatrice et la participation d’Emma Thompson au scénario. Ce dernier n’est pas l’adaptation du troisième roman d’Helen Fielding, Bridget Jones : folle de lui, qui se concentre sur une héroïne « cougar » à l’aube de la cinquantaine, deux enfants et veuve de Mark Darcy (brisant ainsi le cœur des fans). Le film est bien entendu inspiré des chroniques de l’écrivain, qui les a finalement réunies en un roman, publié peu après le film. Le succès est à nouveau au rendez-vous avec 211 millions de dollars de recettes.
Fous de Bridget !
Si les trois films ne marqueront pas les mémoires d’un point de vue strictement cinématographique, le succès de la franchise repose essentiellement sur son personnage principal. C’est Bridget qu’on aime. La retrouver, même quinze ans après, c’est comme retrouver une vieille copine. Elle est ancrée dans nos vies, nous avons grandi et vieilli avec elle. En chacune d’entre nous sommeille une part d’elle-même. Loin des diktats de beauté des maigrichonnes qui peuvent enfiler des jeans « skinny » taille 34, Bridget est une fille normale, avec ses kilos en trop, ses rides et ses envies de traîner en pyjama toute la journée quand elle déprime. Bref, une fille comme nous. Et pour citer Mark Darcy, nous aussi on l’aime « exactement comme elle est ».
par Florine Teyssier