L’Homme de Rio, l’aventure selon Philippe de Broca

L'Homme de Rio (Philippe de Broca, 1964)Soldat en permission pour huit jours à Paris, Adrien Dufourquet assiste à l’enlèvement de sa fiancée par deux inconnus. Sans réfléchir, il se lance à la poursuite des ravisseurs, et se retrouve dans un avion en partance pour Rio. L’aventure commence…

En 1961, on propose à Philippe de Broca de tourner une aventure de Tintin au cinéma avec de vrais acteurs. Le cinéaste refuse, conscient du piège que peut entraîner la mise en images d’une telle icône populaire. Tintin et le mystère de la Toison d’or sera finalement réalisé par Jean-Pierre Vierne. Un an plus tard, de passage à Rio pour présenter Cartouche, le cinéaste lance à Jean-Paul Belmondo : « J’ai envie de tourner un film avec toi, ici, au Brésil. Tu descendras de l’avion en costard blanc, cigare au bec et il t’arrivera plein d’aventures ! »

Philippe de Broca sur le tournage de L'Homme de Rio (1964) - © Alex ProductionsÀ sa sortie en février 1964, on ne peut s’empêcher de comparer les aventures d’Adrien Dufourquet à celles du personnage créé par Hergé en 1929. Lieux exotiques, enlèvement, sauvetage, vol d’un objet précieux (clin d’œil à la statuette de L’Oreille cassée), professeur machiavélique, poursuites et explosions en tout genre. Philippe de Broca assume d’ailleurs parfaitement l’influence du journaliste à la houppette : « Évidemment, c’était Tintin qui me rattrapait : j’en ai gardé l’esprit mais en inventant des personnages et une histoire originale. » Le héros campé par Belmondo est assez éloigné de celui d’Hergé : râleur et audacieux, Adrien Dufourquet se jette à corps perdu dans l’aventure, mais pour le cinéaste, l’intrigue a peu d’importance : « Il n’y a rien qu’un garçon qui galope après une fille qu’il n’aime même pas. Il court pour le plaisir de courir. Ce qui compte, ce n’est pas pourquoi il court, c’est la grâce de sa démarche. La beauté d’une danse se suffit à elle-même. »

Jean-Paul Belmondo dans L'Homme de Rio (Philippe de Broca, 1964) - DR
Jean-Paul Belmondo dans L'Homme de Rio (Philippe de Broca, 1964) - DR

Françoise Dorléac et Jean-Paul Belmondo dans L'Homme de Rio (Philippe de Broca, 1964) - DR
Jean-Paul Belmondo dans L'Homme de Rio (Philippe de Broca, 1964)

Le plaisir enfantin qu’on ressent à suivre ces aventures s’explique en grande partie par l’implication extrême du metteur en scène : « Cet Homme de Rio, je l’ai entièrement conçu comme le film idéal que j’aurais aimé voir à douze ans. » Enfant, Philippe de Broca lisait beaucoup de romans d’aventures (Jules Verne, Jack London, Joseph Conrad) : on comprend aisément son désir d’obtenir les moyens nécessaires pour réaliser un grand film. Quitte à compliquer la production du film, Alexandre Mnouchkine et Georges Dancigers lui permettent d’aller tourner au Brésil. « J’étais comme un enfant à qui l’on offre un Meccano géant. Ce que nous avions imaginé sur le papier prenait vie sous mes yeux : des Indiens, un parachutage en pleine jungle, des torrents, des crocodiles et, évidemment, un trésor. »

Jean-Paul Belmondo et Philippe de Broca sur le tournage de L'Homme de Rio (1964) - © Alex Productions

Le tournage en décors extérieurs s’avère techniquement difficile, mais la bonne humeur règne dans l’équipe, galvanisée par l’enthousiasme communicatif du metteur en scène et de son acteur principal. Une des caractéristiques du cinéma de Philippe de Broca, c’est que le héros est toujours en mouvement. Comme au temps du cinéma muet où les personnages, poursuivis par toutes sortes d’individus, courent et détruisent tout sur leur passage, le film s’inscrit parfaitement dans la tradition du slapstick, défini comme un « genre d’humour impliquant une part de violence physique volontairement exagérée ». Jean-Paul Belmondo frappe, prend des coups, se relève, il n’hésite pas à littéralement se mouiller pour retrouver sa fiancée et profiter enfin de ses jours de permission.

Jean-Paul Belmondo – Émission Les coulisses de l’exploit18 mars 1964

« Véritable poète de l’acrobatie, il jubilait à utiliser tous les moyens de transport possibles et imaginables, à piloter une voiture rose avec des étoiles vertes. C’était notre deuxième film ensemble, il devenait mon double, le comédien auquel je m’identifiais le mieux, » raconte le cinéaste. Belmondo apporte encore plus d’authenticité aux scènes d’action en effectuant lui-même des cascades souvent impressionnantes, réglées par son complice Gil Delamare : escalade de l’hôtel au-dessus de la plage de Copacabana (clin d’œil à un épisode de Tintin en Amérique), acrobaties aériennes dans un petit avion jaune…

Tintin en Amerique de Hergé (Casterman) - DR
Jean-Paul Belmondo dans L'Homme de Rio (Philippe de Broca, 1964) - DR

Intrépide, Belmondo attire ses ennemis dans des endroits improbables où il est à l’aise : suspendu à un câble entre deux immeubles dans un décor surréaliste, un désert d’où émerge une ville fantôme, Brasilia, en pleine construction à cette époque. N’oublions pas Françoise Dorléac, sœur aînée de Catherine Deneuve, qui compose avec malice et beaucoup d’énergie une jeune femme indépendante et extravagante, apparent faire-valoir de Belmondo, mais dont la modernité ajoutée au charisme du comédien rend le tandem jubilatoire.

Françoise Dorléac et Jean-Paul Belmondo dans L'Homme de Rio (Philippe de Broca, 1964) - DR
Françoise Dorléac et Jean-Paul Belmondo dans L'Homme de Rio (Philippe de Broca, 1964) - DR
Philippe de Broca tourne L'Homme de Rio avec Jean-Paul Belmondo - © Alex Productions

À l’instar de Christian-Jaque et d’André Hunebelle, Philippe de Broca contribue en deux films à donner ses lettres de noblesse à la comédie d’aventures. Steven Spielberg et Georges Lucas avouent s’en être largement inspirés lorsqu’ils tournèrent Indiana Jones et le temple maudit : Willie Scott (Kate Capshaw) rappelle étrangement Agnès, jeune fille râleuse et encombrante, tandis que le jeune casse-cou asiatique Demi-Lune fait penser à Sir Winston, le petit cireur de chaussures brésilien. Et comme le professeur Catalan convoitant les précieuses statuettes, les protagonistes de la saga d’Indiana Jones sont toujours en quête d’objets d’art d’une valeur inestimable (arche d’alliance, Saint-Graal et autres reliques anciennes).

Françoise Dorléac et Jean-Paul Belmondo sur le tournage de L'Homme de Rio (Philippe de Broca, 1964) - © Alex Productions

Sélectionné à Hollywood dans la catégorie du meilleur scénario original, le film n’obtient pas l’Oscar. En revanche, la critique est élogieuse, le film triomphe dans les salles et restera le plus gros succès du cinéaste, réunissant 4.800.626 spectateurs. Un an et demi plus tard, Philippe de Broca et Jean-Paul Belmondo se retrouvent en Asie pour le tournage d’une comédie écrite par Daniel Boulanger qui se rapproche encore un peu plus des aventures de Tintin : Les Tribulations d’un Chinois en Chine.

par Jérémie Imbert

***BONUS***
Cédric Klapisch à propos de L’Homme de Rio

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