3 hommes et un couffin : pères et impairs

3 hommes et un couffin : pères et impairs

3 hommes et un couffin (Coline Serreau, 1985)Le 18 septembre 1985, un bébé de six mois flanqué de trois célibataires endurcis débarque sur les écrans français. Un mois plus tard, Rambo tente de détrôner le mouflet, mais les muscles d’acier de Sylvester Stallone n’y feront rien. En quelques mois, 3 hommes et un couffin devient le plus gros succès français de la décennie.

Après avoir mis du temps à trouver un producteur, Coline Serreau se lance dans la réalisation de son nouveau long-métrage, trois ans après sa précédente comédie, Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ! Elle dispose d’un budget minuscule de sept millions de francs. « Au départ, j’avais l’image de trois hommes penchés sur un berceau, confie la cinéaste, à la recherche de comédiens aptes à camper les trois apprentis papas. » Elle propose le rôle de Michel à Daniel Auteuil, qui décide à l’époque de basculer dans un registre plus dramatique : il sera Ugolin dans les films de Claude Berri d’après Marcel Pagnol, Jean de Florette et Manon des sources. Coline Serreau propose le rôle de Pierre à Guy Bedos, mais le projet met du temps à se monter, et entre-temps le comédien a signé pour une tournée théâtrale. Michel Boujenah, qui rêve de tourner avec la réalisatrice, est abasourdi lorsqu’elle lui propose le rôle de Michel. Après hésitation, la réalisatrice donne le rôle de Pierre à Roland Giraud. « Au départ, je ne pensais pas qu’il serait si bien dans le rôle, je ne lui avais pas fait complètement confiance, et puis j’ai été surprise : il est très émouvant et très drôle. »

Roland Giraud, Michel Boujenah et André Dussollier dans 3 hommes et un couffin (Coline Serreau, 1985)

Après plusieurs refus (Jean-Pierre Bacri, Christophe Lambert, Thierry Lhermitte, Lambert Wilson, Jacques Villeret…), Coline Serreau propose le rôle de Jacques à Jean-Claude Brialy. Mais le producteur Jean-François Lepetit refuse catégoriquement, et André Dussollier hérite finalement du rôle. Dans un immense appartement parisien du Marais vivent trois hommes qui multiplient les conquêtes féminines : Pierre le publicitaire, Michel le dessinateur de BD, Jacques le steward. Parti trois semaines en Thaïlande, Jacques ignore qu’il est le père d’une petite fille, Marie, que sa maman a déposée devant sa porte. Se retrouvant avec un bébé de six mois sur les bras, la vie quotidienne du trio masculin est chamboulée, et les situations comiques naissent de leur difficulté à s’adapter aux tâches qu’ils croyaient réservées aux femmes. Lors d’une scène inénarrable à la pharmacie, Pierre devient fou devant la multitude de marques de lait maternisé et les vitesses multiples des tétines pour biberon. Plus tard, se débattant avec des couches trop grandes, il peste en voyant les dégâts urinaires du bébé. Face à Mme Rapons de l’agence Seconde Maman (Dominique Lavanant, exceptionnelle), Pierre perd ses nerfs, submergé par un sentiment d’amour maternel pour Marie.

Coline Serreau - DR« Le point de vue des hommes vu par une femme est tout à fait subversif et nouveau, raconte la cinéaste, il parle de leur vrai être, de leurs faiblesses, de leurs difficultés à assumer leurs sentiments en même temps que l’image qu’ils doivent donner d’eux-mêmes. » Roland Giraud se souvient des difficultés de jouer avec les enfants : « Très souvent, Coline nous disait : “ Occupez-vous des gosses, qu’ils s’habituent à vous.” Mais ils ne s’habituaient pas à nous du tout, et plus on tournait, plus ils avaient peur de nous. Dès qu’ils nous voyaient, ils pleuraient. Pourtant on n’était pas méchants avec eux. » Sur le plateau, l’équipe est tributaire du rythme des bébés, des horaires de biberon, de tétée… La star du film, c’est Marie. « Il y avait ces enfants qu’on était obligé de supporter, d’attendre. Ce qui créait un peu de jalousie de notre part, avoue André Dussollier. Tout le temps qu’on leur accordait était invraisemblable. »

Roland Giraud, Philippine Leroy-Beaulieu, Michel Boujenah et André Dussollier sur le tournage de 3 hommes et un couffin (Coline Serreau, 1985) - © Flach Film / Sopro Films

Extrêmement exigeante, Coline Serreau multiplie les prises : « Les acteurs, qui ont travaillé dur, n’étaient pas habitués à ma façon quasi obsessionnelle de chercher l’intonation juste. » Boujenah se souvient avoir recommencé cinquante-deux fois la scène où il mange un sandwich et boit une bière : « Je devenais fou, je crachais entre chaque prise. Coline disait : “Non mon cœur, c’est pas ça, tu reprends.” » La réalisatrice a du mal à empêcher les fous rires provoqués par Boujenah, qui chante faux le fameux canon à trois voix d’Au clair de la lune. Au contraire, pour faire rire le bébé, les cinquante membres de l’équipe se mettent à faire « gouzi-gouzi » au-dessus du couffin. Le budget initial étant vite dépassé, la tension monte entre le producteur et la réalisatrice, qui parvient à filmer tout ce qu’elle avait prévu. Quant aux comédiens, ils s’attachent petit à petit aux enfants, à l’image des personnages qui ressentent un manque quand la maman vient récupérer Marie.

3 hommes et un couffin devient rapidement un phénomène de société. « Le film parle des changements qui sont en train de s’opérer entre les femmes, qui savent ce qu’elles ne veulent plus, et les hommes, qui sont en plein désarroi », explique la cinéaste. D’une situation de départ tragique (l’abandon d’un enfant), Coline Serreau réalise un film drôle et touchant. Le bouche-à-oreille est exceptionnel, l’œuvre réunissant 10.251.465 spectateurs au total. Intéressés aux entrées, les comédiens et la réalisatrice touchent le pactole. Dans la foulée, le film obtient trois Césars : meilleur second rôle masculin pour Michel Boujenah, meilleur scénario pour Coline Serreau et meilleur film !

Le conte de fées ne fait que commencer puisque les Américains distribuent le film outre-Atlantique (le film rapporte $2,052,466), en font un remake qui cartonne ($167,780,960), Three Men and a Baby (Leonard Nimoy, 1987) avec Tom Selleck, Steve Guttenberg et Ted Danson, puis une suite avec le même trio d’acteurs, Three Men and a Little Lady (Emile Ardolino, 1990) qui marche pas si mal ($71,609,321).

Three Men and a Baby (Leonard Nimoy, 1987)
Three Men and a Little Lady (Emile Ardolino, 1990)
18 ans après (Coline Serreau, 2003)

Après avoir refusé de décliner son film en sitcom, Coline Serreau réalise en 2002 une suite : 18 ans après. Marie est interprétée par Madeleine Besson, la propre fille de la cinéaste. Malgré un budget confortable et la présence du trio magique Dussollier-Giraud-Boujenah, le film est loin d’atteindre les chiffres vertigineux du film original (1.550.011 entrées).

par Jérémie Imbert

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